Date de publication du RFC : Novembre 2015
Auteur(s) du RFC : D. Crocker (Brandenburg InternetWorking), N. Clark (Pavonis Consulting)
Pour information
Première rédaction de cet article le 12 décembre 2015
La question de la diversité dans les organisations qui contribuent d'une manière ou d'une autre au bon fonctionnement de l'Internet a souvent été discutée. Un simple coup d'œil à une réunion IETF permet de voir de nets déséquilibres (peu de femmes, peu de gens originaires d'Afrique ou d'Amérique Latine...). Comme le dit le résumé de ce nouveau RFC : « a small group of well-funded, American, white, male technicians ». Même si ce résumé est exagéré, et si le mécanisme ouvert de l'IETF a largement prouvé son efficacité, il n'est pas interdit de creuser la question « comment accroitre la diversité ? », dans l'espoir d'augmenter encore cette efficacité. (Un tel document suscitera forcément des controverses. Par exemple, personnellement, il me semble que la diversité est plutôt une question de justice - faire sauter les éventuelles discriminations - que d'une supposée meilleure efficacité.)
L'état actuel d'une organisation dépend évidemment de son histoire (section 1 du RFC). L'IETF est née d'un effort commencé à la fin des années 1960, et financé par l'ARPA. Au début, il n'y avait donc que des États-Uniens. La participation s'est ensuite étendue à d'autres milieux aux États-Unis, comme ceux financés par la NSF et non plus l'ARPA. À la création formelle de l'IETF, à la fin des années 1980, le projet a été complètement ouvert. Tout le monde peut participer, sans distinction de genre, de nationalité ou de couleur de peau, au moins en théorie.
L'IETF est à juste titre fière du résultat : le processus ouvert s'est avéré particulièrement efficace, permettant aux protocoles TCP/IP d'être très largement déployés, à la place des protocoles conçus par des SDO traditionnelles et fermées. Mais rien n'est éternel et on ne peut évidemment pas garantir que l'IETF gardera éternellement cette ouverture. Une « vigilance citoyenne » permanente est donc nécessaire.
La culture spécifique de l'IETF est née. Elle se caractérise par une grande franchise dans les discussions, loin de l'hypocrisie de beaucoup d'organisations, où on n'affiche jamais ouvertement les désaccords. Comme toute chose peut être vue de deux façons différentes, le RFC parle non pas de franchise mais de « singularly aggressive behavior, including singularly hostile tone and content ». Il ajoute que ce style n'est pas « professionnel », un terme très curieux, comme si l'aggressivité était le privilège des amateurs... Ce qui est sûr, c'est que ce style, qui allait bien aux participants du début, peut être un problème pour la diversité. Un comportement qui serait considéré « un peu trop direct » aux Pays-Bas peut être vu comme « très impoli » au Japon. (Le RFC parle de « more polite cultures », qui peuvent se sentir mal à l'aise face au style franc et direct de l'IETF.)
La section 2 du RFC décrit ensuite pourquoi le manque de diversité est un problème. D'abord, précisons que tous les attributs sont concernés, le genre, la nationalité, la religion, l'orientation sexuelle, etc. Cette section reprend l'idée que des groupes divers prennent des meilleures décisions (en citant, c'est amusant, uniquement des études états-uniennes, et presque toutes limitées au monde du management capitaliste, comme « Better Decisions Through Diversity: Heterogeneity can boost group performance »).
La question de la diversité étant ancienne, il n'est pas étonnant que le débat sur les solutions le soit aussi, et que de nombreuses techniques aient déjà été proposées, et expérimentées. Par exemple, le RFC note que des mesures purement statistiques, comme des quotas, peuvent être difficile à mettre en œuvre dans des groupes restreints. S'il y a deux Area Directors pour la Routing Area de l'IETF, ils ou elles ne peuvent pas représenter à eux deux toute la diversité souhaitée. En outre, le but est la diversité, pas juste des nombres appliqués aveuglément (avoir X % de membres de tel groupe ne sert à rien si ces X % sont silencieux et ne participent pas).
Quels sont les mécanismes qui peuvent, en pratique, limiter la diversité dans l'IETF (puisque, en théorie, tout le monde peut participer) ? Il y a plein d'exemples :
Mais il y a aussi des comportements anti-diversité plus directs et plus actifs comme le harcèlement ou l'intimidation. Ils peuvent être dirigés contre toutes les personnes appartenant (ou supposées appartenir) à tel ou tel groupe (comme « les femmes » ou « les homosexuels ») ou bien dirigés contre des individus spécifiques (comme l'abominable GamerGate). Aucun cas précis n'a été dénoncé à l'IETF, contrairement à ce qui arrive dans d'autres organisations, mais cela ne veut pas dire que cela n'arrivera jamais, ni même que cela n'est pas déjà arrivé : tous les cas ne sont pas publics, par exemple parce que les victimes peuvent hésiter à se plaindre, en raison du risque de représailles. Un futur RFC décrira la politique de l'IETF au sujet du harcèlement.
Malheureusement, ce RFC 7704 continue à décrire un environnement sans harcèlement comme « professional » comme si des actions aussi graves que celles du GamerGate étaient juste un manque de professionnalisme !
La section 3 du RFC s'occupe plutôt de propositions constructives : comment faire pour que tout le monde se sente bienvenu, de manière à augmenter la diversité ? Par exemple, le RFC recommande aux anglophones (la langue de travail de l'IETF est l'anglais) de parler lentement et clairement, et d'éviter les idiosyncrasies locales, ou les références culturelles trop locales (ah, ces allusions agaçantes à des émissions télé US que les non-États-Uniens n'ont pas vu...) Ainsi, la participation des non-anglophones pourra augmenter. Je note personnellement que, lorsqu'une réunion de l'IETF se tient aux États-Unis, les participants parlent bien plus vite et font moins attention à la diversité linguistique.
On peut aussi :
Tout cela n'est pas facile car il faut aussi tenir compte des exigences du travail : le but n'est pas juste d'être gentil mais surtout de créer les nouvelles normes techniques. Un exemple où il est difficile d'atteindre un bon équilibre est celui des réunions physiques des groupes de travail. L'IETF privilégie normalement l'efficacité : on saute directement dans le sujet, on ne passe pas son temps à expliquer, de toute façon, tout le monde est censé avoir travaillé avant, lisant les drafts et les discussions sur la liste de diffusion. Mais cette excellente façon de faire peut décourager les nouveaux, qui n'ont pas compris tous les tenants et aboutissants de la discussion.
Enfin, que faut-il faire contre les gens qui se comportent d'une manière qui peut faire fuir certain·e·s (section 4 du RFC) ? On peut les ignorer si ce n'est pas trop grave mais, au-delà d'un certain niveau de perturbation, il faut faire appel aux autorités (présidents du groupe de travail, ombudsperson, et président de l'IETF si nécessaire).
Quelques ressources supplémentaires sur l'activité de l'IETF à ce sujet :
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