Date de publication du RFC : Août 2018
Auteur(s) du RFC : E. Rescorla (RTFM)
Chemin des normes
Réalisé dans le cadre du groupe de travail IETF tls
Première rédaction de cet article le 11 août 2018
Après un très long processus, et d'innombrables polémiques, la nouvelle version du protocole de cryptographie TLS, la 1.3, est enfin publiée. Les changements sont nombreux et, à bien des égards, il s'agit d'un nouveau protocole (l'ancien était décrit dans le RFC 5246, que notre nouveau RFC remplace).
Vous pouvez voir l'histoire de ce RFC sur la Datatracker de l'IETF. Le premier brouillon a été publié en avril 2014, plus de trois années avant le RFC. C'est en partie pour des raisons techniques (TLS 1.3 est très différent de ses prédécesseurs) et en partie pour des raisons politiques. C'est que c'est important, la sécurité ! Cinq ans après les révélations de Snowden, on sait désormais que des acteurs puissants et sans scrupules, par exemple les États, espionnent massivement le trafic Internet. Il est donc crucial de protéger ce trafic, entre autres par la cryptographie. Mais dire « cryptographie » ne suffit pas ! Il existe des tas d'attaques contre les protocoles de cryptographie, et beaucoup ont réussi contre les prédécesseurs de TLS 1.3. Il était donc nécessaire de durcir le protocole TLS, pour le rendre moins vulnérable. Et c'est là que les ennuis ont commencé. Car tout le monde ne veut pas de la sécurité. Les États veulent continuer à espionner (le GCHQ britannique s'était clairement opposé à TLS 1.3 sur ce point). Les entreprises veulent espionner leurs employés (et ont pratiqué un lobbying intense contre TLS 1.3). Bref, derrière le désir de « sécurité », partagé par tout le monde, il y avait un désaccord de fond sur la surveillance. À chaque réunion de l'IETF, une proposition d'affaiblir TLS pour faciliter la surveillance apparaissait, à chaque fois, elle était rejetée et, tel le zombie des films d'horreur, elle réapparaissait, sous un nom et une forme différente, à la réunion suivante. Par exemple, à la réunion IETF de Prague en juillet 2017, l'affrontement a été particulièrement vif, alors que le groupe de travail TLS espérait avoir presque fini la version 1.3. Des gens se présentant comme enterprise networks ont critiqué les choix de TLS 1.3, notant qu'il rendait la surveillance plus difficile (c'était un peu le but…) gênant notamment leur débogage. Ils réclamaient un retour aux algorithmes n'ayant pas de sécurité persistante. Le début a suivi le schéma classique à l'IETF : « vous réclamez un affaiblissement de la sécurité » vs. « mais si on ne le fait pas à l'IETF, d'autres le feront en moins bien », mais, au final, l'IETF est restée ferme et n'a pas accepté de compromissions sur la sécurité de TLS. (Un résumé du débat est dans « TLS 1.3 in enterprise networks ».)
Pour comprendre les détails de ces propositions et de ces rejets, il faut regarder un peu en détail le protocole TLS 1.3.
Revenons d'abord sur les fondamentaux : TLS est un mécanisme permettant aux applications client/serveur de communiquer au travers d'un réseau non sûr (par exemple l'Internet) tout en empêchant l'écoute et la modification des messages. TLS suppose un mécanisme sous-jacent pour acheminer les bits dans l'ordre, et sans perte. En général, ce mécanisme est TCP. Avec ce mécanisme de transport, et les techniques cryptographiques mises en œuvre par dessus, TLS garantit :
Ces propriétés sont vraies même si l'attaquant contrôle complètement le réseau entre le client et le serveur (le modèle de menace est détaillé dans la section 3 - surtout la 3.3 - du RFC 3552, et dans l'annexe E de notre RFC).
TLS est un protocole gros et compliqué (ce qui n'est pas forcément optimum pour la sécurité). Le RFC fait 147 pages. Pour dompter cette complexité, TLS est séparé en deux composants :
Pour comprendre le rôle de ces deux protocoles, imaginons un protocole fictif simple, qui n'aurait qu'un seul algorithme de cryptographie symétrique, et qu'une seule clé, connue des deux parties (par exemple dans leur fichier de configuration). Avec un tel protocole, on pourrait se passer du protocole de salutation, et n'avoir qu'un protocole des enregistrements, indiquant comment encoder les données chiffrées. Le client et le serveur pourraient se mettre à communiquer immédiatement, sans salutation, poignée de mains et négociation, réduisant ainsi la latence. Un tel protocole serait très simple, donc sa sécurité serait bien plus facile à analyser, ce qui est une bonne chose. Mais il n'est pas du tout réaliste : changer la clé utilisée serait complexe (il faudrait synchroniser exactement les deux parties), remplacer l'algorithme si la cryptanalyse en venait à bout (comme c'est arrivé à RC4, cf. RFC 7465) créerait un nouveau protocole incompatible avec l'ancien, communiquer avec un serveur qu'on n'a jamais vu serait impossible (puisque on ne partagerait pas de clé commune), etc. D'où la nécessité du protocole de salutation, où les partenaires :
Notez que TLS n'est en général pas utilisé tel quel mais via un protocole de haut niveau, comme HTTPS pour sécuriser HTTP. TLS ne suppose pas un usage particulier : on peut s'en servir pour HTTP, pour SMTP (RFC 7672), pour le DNS (RFC 7858), etc. Cette intégration dans un protocole de plus haut niveau pose parfois elle-même des surprises en matière de sécurité, par exemple si l'application utilisatrice ne fait pas attention à la sécurité (Voir mon exposé à Devoxx, et ses transparents.)
TLS 1.3 est plutôt un nouveau protocole qu'une nouvelle version, et il n'est pas directement compatible avec son prédécesseur, TLS 1.2 (une application qui ne connait que 1.3 ne peut pas parler avec une application qui ne connait que 1.2.) En pratique, les bibliothèques qui mettent en œuvre TLS incluent en général les différentes versions, et un mécanisme de négociation de la version utilisée permet normalement de découvrir la version maximum que les deux parties acceptent (historiquement, plusieurs failles sont venues de ce point, avec des pare-feux stupidement configurés qui interféraient avec la négociation).
La section 1.3 de notre RFC liste les différences importantes entre TLS 1.2 (qui était normalisé dans le RFC 5246) et 1.3 :
https://datatracker.ietf.org/doc/draft-ietf-tls-esni/
et son cahier des charges dans le RFC 8744.)Un bon résumé de ce nouveau protocole est dans l'article de Mark Nottingham.
Ce RFC concerne TLS 1.3 mais il contient aussi quelques changements pour la version 1.2 (section 1.4 du RFC), comme un mécanisme pour limiter les attaques par repli portant sur le numéro de version, et des mécanismes de la 1.3 « portés » vers la 1.2 sous forme d'extensions TLS.
La section 2 du RFC est un survol général de TLS 1.3 (le RFC fait 147 pages, et peu de gens le liront intégralement). Au début d'une session TLS, les deux parties, avec le protocole de salutation, négocient les paramètres (version de TLS, algorithmes cryptographiques) et définissent les clés qui seront utilisées pour le chiffrement de la session. En simplifiant, il y a trois phases dans l'établissement d'une session TLS :
ClientHello
, le serveur répond avec un ServerHello
,CertificateRequest
d'un certificat client), cette partie est
chiffrée, contrairement à la précédente,Certificate
(qui ne contient pas
forcément un certificat, cela peut être une clé brute - RFC 7250 ou une clé d'une session précédente -
RFC 7924).
Un message Finished
termine cette ouverture
de session.
(Si vous êtes fana de futurisme, notez que seule la première étape
pourrait être remplacée par la distribution quantique
de clés, les autres resteraient
indispensables. Contrairement à ce que promettent ses promoteurs,
la QKD ne dispense pas d'utiliser les protocoles existants.)
Comment les deux parties se mettent-elles d'accord sur les clés ? Trois méthodes :
Si vous connaissez la cryptographie, vous savez que les PSK, les clés partagées, sont difficiles à gérer, puisque devant être transmises de manière sûre avant l'établissement de la connexion. Mais, dans TLS, une autre possibilité existe : si une session a été ouverte sans PSK, en n'utilisant que de la cryptographie asymétrique, elle peut être enregistrée, et resservir, afin d'ouvrir les futures discussions plus rapidement. TLS 1.3 utilise le même mécanisme pour des « vraies » PSK, et pour celles issues de cette reprise de sessions précédentes (contrairement aux précédentes versions de TLS, qui utilisaient un mécanisme séparé, celui du RFC 5077, désormais abandonné).
Si on a une PSK (gérée manuellement, ou bien via la reprise de session), on peut même avoir un dialogue TLS dit « 0-RTT ». Le premier paquet du client peut contenir des données, qui seront acceptées et traitées par le serveur. Cela permet une importante diminution de la latence, dont il faut rappeler qu'elle est souvent le facteur limitant des performances. Par contre, comme rien n'est idéal dans cette vallée de larmes, cela se fait au détriment de la sécurité :
La section 8 du RFC et l'annexe E.5 détaillent ces limites, et les mesures qui peuvent être prises.
Le protocole TLS est décrit avec un langage spécifique, décrit de manière relativement informelle dans la section 3 du RFC. Ce langage manipule des types de données classiques :
uint8
, uint16
),Datum[3]
ou
variable, avec indication de la longueur au début -
uint16 longer<0..800>
,enum { red(3), blue(5), white(7) }
Color;
),Par exemple, tirés de la section 4 (l'annexe B fournit la liste complète), voici, dans ce langage, la liste des types de messages pendant les salutations, une énumération :
enum { client_hello(1), server_hello(2), new_session_ticket(4), end_of_early_data(5), encrypted_extensions(8), certificate(11), certificate_request(13), certificate_verify(15), finished(20), key_update(24), message_hash(254), (255) } HandshakeType;
Et le format de base d'un message du protocole de salutation :
struct { HandshakeType msg_type; /* handshake type */ uint24 length; /* bytes in message */ select (Handshake.msg_type) { case client_hello: ClientHello; case server_hello: ServerHello; case end_of_early_data: EndOfEarlyData; case encrypted_extensions: EncryptedExtensions; case certificate_request: CertificateRequest; case certificate: Certificate; case certificate_verify: CertificateVerify; case finished: Finished; case new_session_ticket: NewSessionTicket; case key_update: KeyUpdate; }; } Handshake;
La section 4 fournit tous les détails sur le protocole de
salutation, notamment sur la délicate négociation des paramètres
cryptographiques. Notez que la renégociation en cours de session a
disparu, donc un ClientHello
ne peut
désormais plus être envoyé qu'au début.
Un problème auquel a toujours dû faire face TLS est celui de la
négociation de version, en présence de mises en œuvre boguées, et,
surtout, en présence de boitiers
intermédiaires encore plus bogués
(pare-feux ignorants, par exemple, que des
DSI ignorantes placent un peu partout). Le
modèle original de TLS pour un client était d'annoncer dans le
ClientHello
le plus grand numéro de version
qu'on gère, et de voir dans ServerHello
le
maximum imposé par le serveur. Ainsi, un client TLS 1.2 parlant à
un serveur qui ne gère que 1.1 envoyait
ClientHello(client_version=1.2)
et, en
recevant ServerHello(server_version=1.1)
, se
repliait sur TLS 1.1, la version la plus élevée que les deux
parties gèraient. En pratique, cela ne marche pas aussi bien. On
voyait par exemple des serveurs (ou, plus vraisemblablement, des
pare-feux bogués) qui raccrochaient brutalement en
présence d'un numéro de version plus élevé, au lieu de suggérer un
repli. Le client n'avait alors que le choix de renoncer, ou bien
de se lancer dans une série d'essais/erreurs (qui peut être
longue, si le serveur ou le pare-feu bogué ne répond pas).
TLS 1.3 change donc complètement le mécanisme de
négociation. Le client annonce toujours la version 1.2 (en fait
0x303, pour des raisons historiques), et la vraie version est mise
dans une extension, supported_versions
(section 4.2.1), dont
on espère qu'elle sera ignorée par les serveurs mal
gérés. (L'annexe D du RFC détaille ce problème de la négociation
de version.) Dans la réponse ServerHello
, un
serveur 1.3 doit inclure cette extension, autrement, il faut se
rabattre sur TLS 1.2.
En parlant d'extensions, concept qui avait été introduit
originellement dans le RFC 4366, notre RFC
reprend des extensions déjà normalisées, comme le SNI
(Server Name Indication) du RFC 6066, le battement de cœur du RFC 6520, le remplissage du ClientHello
du RFC 7685,
et en ajoute dix, dont
supported_versions
. Certaines de ces
extensions doivent être présentes dans les messages
Hello
, car la sélection des paramètres
cryptographiques en dépend, d'autres peuvent être uniquement dans
les messages EncryptedExtensions
, une
nouveauté de TLS 1.3, pour les extensions qu'on n'enverra qu'une
fois le chiffrement commencé. Le RFC en profite pour rappeler que
les messages Hello
ne sont pas protégés
cryptographiquement, et peuvent donc être modifiés (le message
Finished
résume les décisions prises et peut
donc protéger contre ce genre d'attaques).
Autrement, parmi les autres nouvelles extensions :
La section 5 décrit le protocole des enregistrements (record protocol). C'est ce sous-protocole qui va prendre un flux d'octets, le découper en enregistrements, les protéger par le chiffrement puis, à l'autre bout, déchiffrer et reconstituer le flux… Notez que « protégé » signifie à la fois confidentialité et intégrité puisque TLS 1.3, contrairement à ses prédécesseurs, impose AEAD (RFC 5116).
Les enregistrements sont typés et marqués handshake (la salutation, vue dans la section précédente), change cipher spec, alert (pour signaler un problème) et application data (les données elle-mêmes) :
enum { invalid(0), change_cipher_spec(20), alert(21), handshake(22), application_data(23), (255) } ContentType;
Le contenu des données est évidemment incompréhensible, en raison du chiffrement (voici un enregistrement de type 23, données, vu par tshark) :
TLSv1.3 Record Layer: Application Data Protocol: http-over-tls Opaque Type: Application Data (23) Version: TLS 1.2 (0x0303) Length: 6316 Encrypted Application Data: eb0e21f124f82eee0b7a37a1d6d866b075d0476e6f00cae7...
Et décrite par la norme dans son langage formel :
struct { ContentType opaque_type = application_data; /* 23 */ ProtocolVersion legacy_record_version = 0x0303; /* TLS v1.2 */ uint16 length; opaque encrypted_record[TLSCiphertext.length]; } TLSCiphertext;
(Oui, le numéro de version reste à TLS 1.2 pour éviter d'énerver les stupides middleboxes.) Notez que des extensions à TLS peuvent introduire d'autres types d'enregistrements.
Une faiblesse classique de TLS est que la taille des données chiffrées n'est pas dissimulée. Si on veut savoir à quelle page d'un site Web un client HTTP a accédé, on peut parfois le déduire de l'observation de cette taille. D'où la possibilité de faire du remplissage pour dissimuler cette taille (section 5.4 du RFC). Notez que le RFC ne suggère pas de politique de remplissage spécifique (ajouter un nombre aléatoire ? Tout remplir jusqu'à la taille maximale ?), c'est un choix compliqué. Il note aussi que certaines applications font leur propre remplissage, et qu'il n'est alors pas nécessaire que TLS le fasse.
La section 6 du RFC est dédiée au cas des alertes. C'est un des types d'enregistrements possibles, et, comme les autres, il est chiffré, et les alertes sont donc confidentielles. Une alerte a un niveau et une description :
struct { AlertLevel level; AlertDescription description; } Alert;
Le niveau indiquait si l'alerte est fatale mais n'est plus utilisé en TLS 1.2, où il faut se fier uniquement à la description, une énumération des problèmes possibles (message de type inconnu, mauvais certificat, enregistrement non décodable - rappelez-vous que TLS 1.3 n'utilise que du chiffrement intègre, problème interne au client ou au serveur, extension non acceptée, etc). La section 6.2 donne une liste des erreurs fatales, qui doivent mener à terminer immédiatement la session TLS.
La section 8 du RFC est entièrement consacrée à une nouveauté délicate, le « 0-RTT ». Ce terme désigne la possibilité d'envoyer des données dès le premier paquet, sans les nombreux échanges de paquets qui sont normalement nécessaires pour établir une session TLS. C'est très bien du point de vue des performances, mais pas forcément du point de vue de la sécurité puisque, sans échanges, on ne peut plus vérifier à qui on parle. Un attaquant peut réaliser une attaque par rejeu en envoyant à nouveau un paquet qu'il a intercepté. Un serveur doit donc se défendre en se souvenant des données déjà envoyées et en ne les acceptant pas deux fois. (Ce qui peut être plus facile à dire qu'à faire ; le RFC contient une bonne discussion très détaillée des techniques possibles, et de leurs limites. Il y en a des subtiles, comme d'utiliser des systèmes de mémorisation ayant des faux positifs, comme les filtres de Bloom, parce qu'ils ne produiraient pas d'erreurs, ils rejetteraient juste certains essais 0-RTT légitimes, cela ne serait donc qu'une légère perte de performance.)
La section 9 de notre RFC se penche sur un problème difficile,
la conformité des mises en œuvres de TLS. D'abord, les algorithmes
obligatoires. Afin de permettre l'interopérabilité,
toute mise en œuvre de TLS doit avoir la
suite de chiffrement TLS_AES_128_GCM_SHA256
(AES en
mode GCM
avec SHA-256). D'autres suites sont
recommandées (cf. annexe B.4). Pour l'authentification,
RSA avec SHA-256 et
ECDSA sont obligatoires. Ainsi, deux
programmes différents sont sûrs de pouvoir trouver des algorithmes
communs. La possibilité
d'authentification par certificats PGP du RFC 6091 a été retirée.
De plus, certaines extensions à TLS sont obligatoires, un pair TLS 1.3 ne peut pas les refuser :
supported_versions
, nécessaire pour
annoncer TLS 1.3,cookie
,signature_algorithms
,
signature_algorithms_cert
,
supported_groups
et
key_share
,server_name
, c'est à dire SNI
(Server Name Indication), souvent nécessaire
pour pouvoir choisir le bon certificat (cf. section 3 du RFC 6066).La section 9 précise aussi le comportement attendu des équipements intermédiaires. Ces dispositifs (pare-feux, par exemple, mais pas uniquement) ont toujours été une plaie pour TLS. Alors que TLS vise à fournir une communication sûre, à l'abri des équipements intermédiaires, ceux-ci passent leur temps à essayer de s'insérer dans la communication, et souvent la cassent. Normalement, TLS 1.3 est conçu pour que ces interférences ne puissent pas mener à un repli (le repli est l'utilisation de paramètres moins sûrs que ce que les deux machines auraient choisi en l'absence d'interférence).
Il y a deux grandes catégories d'intermédiaires, ceux qui tripotent la session TLS sans être le client ou le serveur, et ceux qui terminent la session TLS de leur côté. Attention, dans ce contexte, « terminer » ne veut pas dire « y mettre fin », mais « la sécurité TLS se termine ici, de manière à ce que l'intermédiaire puisse accéder au contenu de la communication ». Typiquement, une middlebox qui « termine » une session TLS va être serveur TLS pour le client et client TLS pour le serveur, s'insérant complètement dans la conversation. Normalement, l'authentification vise à empêcher ce genre de pratiques, et l'intermédiaire ne sera donc accepté que s'il a un certificat valable. C'est pour cela qu'en entreprise, les machines officielles sont souvent installées avec une AC contrôlée par le vendeur du boitier intermédiaire, de manière à permettre l'interception.
Le RFC ne se penche pas sur la légitimité de ces pratiques, uniquement sur leurs caractéristiques techniques. (Les boitiers intermédiaires sont souvent programmés avec les pieds, et ouvrent de nombreuses failles.) Le RFC rappelle notamment que l'intermédiaire qui termine une session doit suivre le RFC à la lettre (ce qui devrait aller sans dire…)
Depuis le RFC 4346, il existe plusieurs registres IANA pour TLS, décrits en section 11, avec leurs nouveautés. En effet, plusieurs choix pour TLS ne sont pas « câblés en dur » dans le RFC mais peuvent évoluer indépendamment. Par exemple, le registre de suites cryptographiques a une politique d'enregistrement « spécification nécessaire » (cf. RFC 8126, sur les politiques d'enregistrement). La cryptographie fait régulièrement des progrès, et il faut donc pouvoir modifier la liste des suites acceptées (par exemple lorsqu'il faudra y ajouter les algorithmes post-quantiques) sans avoir à toucher au RFC (l'annexe B.4 donne la liste actuelle). Le registre des types de contenu, lui, a une politique d'enregistrement bien plus stricte, « action de normalisation ». On crée moins souvent des types que des suites cryptographiques. Même chose pour le registre des alertes ou pour celui des salutations.
L'annexe C du RFC plaira aux programmeurs, elle donne plusieurs conseils pour une mise en œuvre correcte de TLS 1.3 (ce n'est pas tout d'avoir un protocole correct, il faut encore qu'il soit programmé correctement). Pour aider les développeurs à déterminer s'ils ont correctement fait le travail, un futur RFC fournira des vecteurs de test.
Un des conseils les plus importants est évidemment de faire
attention au générateur de nombres
aléatoires, source de tant de failles de sécurité en
cryptographie. TLS utilise des nombres qui doivent être
imprévisibles à un attaquant pour générer des clés de session. Si
ces nombres sont prévisibles, toute la cryptographie s'effondre. Le RFC conseille fortement d'utiliser un générateur
existant (comme /dev/urandom
sur les systèmes
Unix) plutôt que d'écrire le sien, ce qui
est bien plus difficile qu'il ne semble. (Si on tient quand même à
le faire, le RFC 4086 est une lecture
indispensable.)
Le RFC conseille également de vérifier le certificat du partenaire par défaut (quitte à fournir un moyen de débrayer cette vérification). Si ce n'est pas le cas, beaucoup d'utilisateurs du programme ou de la bibliothèque oublieront de le faire. Il suggère aussi de ne pas accepter certains certificats trop faibles (clé RSA de seulement 1 024 bits, par exemple).
Il existe plusieurs moyens avec TLS de ne pas avoir d'authentification du serveur : les clés brutes du RFC 7250 (à la place des certificats), ou bien les certificats auto-signés. Dans ces conditions, une attaque de l'homme du milieu est parfaitement possibe, et il faut donc prendre des précautions supplémentaires (par exemple DANE, normalisé dans le RFC 6698, que le RFC oublie malheureusement de citer).
Autre bon conseil de cryptographie, se méfier des attaques fondées sur la mesure du temps de calcul, et prendre des mesures appropriées (par exemple en vérifiant que le temps de calcul est le même pour des données correctes et incorrectes).
Il n'y a aucune bonne raison d'utiliser certains algorithmes faibles (comme RC4, abandonné depuis le RFC 7465), et le RFC demande que le code pour ces algorithmes ne soit pas présent, afin d'éviter une attaque par repli (annexes C.3 et D.5 du RFC). De la même façon, il demande de ne jamais accepter SSL v3 (RFC 7568).
L'expérience a prouvé que beaucoup de mises en œuvre de TLS ne réagissaient pas correctement à des options inattendues, et le RFC rappelle donc qu'il faut ignorer les suites cryptographiques inconnues (autrement, on ne pourrait jamais introduire une nouvelle suite, puisqu'elle casserait les programmes), et ignorer les extensions inconnues (pour la même raison).
L'annexe D, elle, est consacrée au problème de la communication
avec un vieux partenaire, qui ne connait pas TLS 1.3. Le mécanisme
de négociation de la version du protocole à utiliser a
complètement changé en 1.3. Dans la 1.3, le champ
version
du ClientHello
contient 1.2, la vraie version étant dans l'extension
supported_versions
. Si un client 1.3 parle
avec un serveur <= 1.2, le serveur ne connaitra pas cette
extension et répondra sans l'extension, avertissant ainsi le
client qu'il faudra parler en 1.2 (ou plus vieux). Ça, c'est si le
serveur est correct. S'il ne l'est pas ou, plus vraisemblablement,
s'il est derrière une
middlebox boguée, on
verra des problèmes comme par exemple le refus de répondre aux
clients utilisant des extensions inconnues (ce qui sera le cas
pour supported_versions
), soit en rejettant
ouvertement la demande soit, encore pire, en l'ignorant. Arriver à gérer des
serveurs/middleboxes incorrects est un problème
complexe. Le client peut être tenté de re-essayer avec d'autres
options (par exemple tenter du 1.2, sans l'extension
supported_versions
). Cette méthode n'est pas
conseillée. Non seulement elle peut prendre du temps (attendre
l'expiration du délai de garde, re-essayer…) mais surtout, elle
ouvre la voie à des attaques par repli :
l'attaquant bloque les ClientHello
1.3 et le
client, croyant bien faire, se replie sur une version plus
ancienne et sans doute moins sûre de TLS.
En parlant de compatibilité, le « 0-RTT » n'est évidemment pas
compatible avec les vieilles versions. Le client qui envoie du
« 0-RTT » (des données dans le ClientHello
)
doit donc savoir que, si la réponse est d'un serveur <= 1.2,
la session ne pourra pas être établie, et il faudra donc réessayer
sans 0-RTT.
Naturellement, les plus gros problèmes ne surviennent pas avec
les clients et les serveurs mais avec les
middleboxes. Plusieurs études ont montré leur
caractère néfaste (cf. présentation
à l'IETF 100, mesures
avec Chrome (qui indique également que certains serveurs
TLS sont gravement en tort, comme celui installé dans les
imprimantes Canon), mesures
avec Firefox, et encore
d'autres mesures). Le RFC suggère qu'on limite les risques
en essayant d'imiter le plus possible une salutation de TLS 1.2,
par exemple en envoyant des messages
change_cipher_spec
, qui ne sont plus utilisés
en TLS 1.3, mais qui peuvent rassurer la
middlebox (annexe D.4).
Enfin, le RFC se termine par l'annexe E, qui énumère les propriétés de sécurité de TLS 1.3 : même face à un attaquant actif (RFC 3552), le protocole de salutation de TLS garantit des clés de session communes et secrètes, une authentification du serveur (et du client si on veut), et une sécurité persistante, même en cas de compromission ultérieure des clés (sauf en cas de 0-RTT, un autre des inconvénients sérieux de ce service, avec le risque de rejeu). De nombreuses analyses détaillées de la sécurité de TLS sont listées dans l'annexe E.1.6. À lire si vous voulez travailler ce sujet.
Quant au protocole des enregistrements, celui de TLS 1.3 garantit confidentialité et intégrité (RFC 5116).
TLS 1.3 a fait l'objet de nombreuses analyses de sécurité par des chercheurs, avant même sa normalisation, ce qui est une bonne chose (et qui explique en partie les retards). Notre annexe E pointe également les limites restantes de TLS :
Le 0-RTT introduit un nouveau risque, celui de rejeu. (Et 0-RTT a sérieusement contribué aux délais qu'à connu le projet TLS 1.3, plusieurs participants à l'IETF protestant contre cette introduction risquée.) Si l'application est idempotente, ce n'est pas très grave. Si, par contre, les effets d'une requête précédentes peuvent être rejoués, c'est plus embêtant (imaginez un transfert d'argent répété…) TLS ne promet rien en ce domaine, c'est à chaque serveur de se défendre contre le rejeu (la section 8 donne des idées à ce sujet). Voilà pourquoi le RFC demande que les requêtes 0-RTT ne soient pas activées par défaut, mais uniquement quand l'application au-dessus de TLS le demande. (Cloudflare, par exemple, n'active pas le 0-RTT par défaut.)
Voilà, vous avez maintenant fait un tour complet du RFC, mais vous savez que la cryptographie est une chose difficile, et pas seulement dans les algorithmes cryptographiques (TLS n'en invente aucun, il réutilise des algorithmes existants comme AES ou ECDSA), mais aussi dans les protocoles cryptographiques, un art complexe. N'hésitez donc pas à lire le RFC en détail, et à vous méfier des résumés forcément toujours sommaires, comme cet article.
À part le 0-RTT, le plus gros débat lors de la création de TLS
1.3 avait été autour du concept que ses partisans nomment
« visibilité » et ses adversaires « surveillance ». C'est l'idée
qu'il serait bien pratique si on (on : le patron, la police, le
FAI…) pouvait accéder au contenu des
communications TLS. « Le chiffrement, c'est bien, à condition que
je puisse lire les données quand même » est l'avis des partisans
de la visibilité. Cela avait été proposé dans les
Internet-Drafts draft-green-tls-static-dh-in-tls13
et draft-rhrd-tls-tls13-visibility
. Je
ne vais pas ici pouvoir capturer la totalité
du débat, juste noter quelques points qui sont parfois oubliés
dans la discussion. Côté partisans de la visibilité :
Et du côté des adversaires de la surveillance :
Revenons maintenant aux choses sérieuses, avec les mises en
œuvre de TLS 1.3. Il y en existe au moins une dizaine à l'heure
actuelle mais, en général, pas dans les versions officiellement
publiées des logiciels. Notons quand même que
Firefox 61 sait faire du TLS 1.3. Les autres
mises en œuvre sont prêtes, même si pas forcément publiées. Prenons
l'exemple de la bibliothèque
GnuTLS. Elle dispose de TLS 1.3 depuis la
version 3.6.3. Pour l'instant, il faut compiler cette version avec
l'option ./configure --enable-tls13-support
,
qui n'est pas encore activée par défaut. Un bon
article du mainteneur de GnuTLS explique bien les nouveautés
de TLS 1.3.
Une fois GnuTLS correctement compilé, on peut utiliser le
programme en ligne de commande gnutls-cli
avec
un serveur qui accepte TLS 1.3 :
% gnutls-cli gmail.com ... - Description: (TLS1.3)-(ECDHE-X25519)-(RSA-PSS-RSAE-SHA256)-(AES-256-GCM) - Ephemeral EC Diffie-Hellman parameters - Using curve: X25519 - Curve size: 256 bits - Version: TLS1.3 - Key Exchange: ECDHE-RSA - Server Signature: RSA-PSS-RSAE-SHA256 - Cipher: AES-256-GCM - MAC: AEAD ...
Et ça marche, on fait du TLS 1.3. Si vous préférez écrire le programme
vous-même, regardez ce petit
programme. Si
GnuTLS est en /local
, il se compilera avec
cc -I/local/include -Wall -Wextra -o test-tls13 test-tls13.c
-L/local/lib -lgnutls
et s'utilisera avec :
% ./test-tls13 www.ietf.org TLS connection using "TLS1.3 AES-256-GCM" % ./test-tls13 gmail.com TLS connection using "TLS1.3 AES-256-GCM" % ./test-tls13 mastodon.gougere.fr TLS connection using "TLS1.2 AES-256-GCM" % ./test-tls13 www.bortzmeyer.org TLS connection using "TLS1.2 AES-256-GCM" % ./test-tls13 blog.cloudflare.com TLS connection using "TLS1.3 AES-256-GCM"
Cela vous donne une petite idée des serveurs qui acceptent TLS 1.3.
Un pcap d'une session TLS 1.3 est disponible
en tls13.pcap
. Notez que le numéro de version n'est pas encore
celui du RFC (0x304). Ici, 0x7f1c désigne
l'Internet-Draft numéro 28. Voici la session
vue par tshark :
1 0.000000 2001:67c:370:1998:9819:4f92:d0c0:e94d → 2400:cb00:2048:1::6814:55 TCP 94 36866 → https(443) [SYN] Seq=0 Win=28800 Len=0 MSS=1440 SACK_PERM=1 TSval=3528788861 TSecr=0 WS=128 2 0.003052 2400:cb00:2048:1::6814:55 → 2001:67c:370:1998:9819:4f92:d0c0:e94d TCP 86 https(443) → 36866 [SYN, ACK] Seq=0 Ack=1 Win=24400 Len=0 MSS=1220 SACK_PERM=1 WS=1024 3 0.003070 2001:67c:370:1998:9819:4f92:d0c0:e94d → 2400:cb00:2048:1::6814:55 TCP 74 36866 → https(443) [ACK] Seq=1 Ack=1 Win=28800 Len=0 4 0.003354 2001:67c:370:1998:9819:4f92:d0c0:e94d → 2400:cb00:2048:1::6814:55 TLSv1 403 Client Hello 5 0.006777 2400:cb00:2048:1::6814:55 → 2001:67c:370:1998:9819:4f92:d0c0:e94d TCP 74 https(443) → 36866 [ACK] Seq=1 Ack=330 Win=25600 Len=0 6 0.011393 2400:cb00:2048:1::6814:55 → 2001:67c:370:1998:9819:4f92:d0c0:e94d TLSv1.3 6496 Server Hello, Change Cipher Spec, Application Data 7 0.011413 2001:67c:370:1998:9819:4f92:d0c0:e94d → 2400:cb00:2048:1::6814:55 TCP 74 36866 → https(443) [ACK] Seq=330 Ack=6423 Win=41728 Len=0 8 0.011650 2001:67c:370:1998:9819:4f92:d0c0:e94d → 2400:cb00:2048:1::6814:55 TLSv1.3 80 Change Cipher Spec 9 0.012685 2001:67c:370:1998:9819:4f92:d0c0:e94d → 2400:cb00:2048:1::6814:55 TLSv1.3 148 Application Data 10 0.015693 2400:cb00:2048:1::6814:55 → 2001:67c:370:1998:9819:4f92:d0c0:e94d TCP 74 https(443) → 36866 [ACK] Seq=6423 Ack=411 Win=25600 Len=0 11 0.015742 2400:cb00:2048:1::6814:55 → 2001:67c:370:1998:9819:4f92:d0c0:e94d TLSv1.3 524 Application Data 12 0.015770 2001:67c:370:1998:9819:4f92:d0c0:e94d → 2400:cb00:2048:1::6814:55 TCP 74 36866 → https(443) [RST] Seq=411 Win=0 Len=0 13 0.015788 2400:cb00:2048:1::6814:55 → 2001:67c:370:1998:9819:4f92:d0c0:e94d TCP 74 https(443) → 36866 [FIN, ACK] Seq=6873 Ack=411 Win=25600 Len=0 14 0.015793 2001:67c:370:1998:9819:4f92:d0c0:e94d → 2400:cb00:2048:1::6814:55 TCP 74 36866 → https(443) [RST] Seq=411 Win=0 Len=0
Et, complètement décodée par tshark :
Secure Sockets Layer [sic] TLSv1 Record Layer: Handshake Protocol: Client Hello Content Type: Handshake (22) Version: TLS 1.0 (0x0301) Handshake Protocol: Client Hello Handshake Type: Client Hello (1) Version: TLS 1.2 (0x0303) ... Extension: supported_versions (len=9) Type: supported_versions (43) Length: 9 Supported Versions length: 8 Supported Version: Unknown (0x7f1c) Supported Version: TLS 1.2 (0x0303) Supported Version: TLS 1.1 (0x0302) Supported Version: TLS 1.0 (0x0301)
Le texte complet est en tls13.txt
. Notez bien que la négociation est
en clair. D'autres exemples de traces TLS 1.3 figurent dans le RFC 8448.
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