Date de publication du RFC : Décembre 2019
Auteur(s) du RFC : H. Flanagan (RFC Editor)
Pour information
Première rédaction de cet article le 24 décembre 2019
Ce nouveau RFC marque le cinquantième anniversaire des RFC. Le RFC 1 avait en effet été publié le 7 avril 1969. Ce RFC 8700, publié avec un certain retard, revient sur l'histoire de cette exceptionnelle série de documents.
Il y avait déjà eu des RFC faisant le bilan de la série, à l'occasion d'anniversaires, comme le RFC 2555 pour le trentième RFC, et le RFC 5540 pour le quarantième. La série a évidemment commencé avec le RFC 1, cinquante ans auparavant, et donc dans un monde très différent. À l'époque, les RFC méritaient leur nom, ils étaient été en effet des « appels à commentaires », prévus non pas comme des références stables, mais comme des étapes dans la discussion. En cinquante ans, les choses ont évidemment bien changé, et les RFC sont devenus des documents stables, intangibles, et archivés soigneusement. Logiquement, le processus de création des RFC a également évolué, notamment vers un plus grand formalisme (on peut même dire « bureaucratie »).
Plus de 8 500 RFC ont été publiés (il existe quelques trous dans la numérotation ; ainsi, le RFC 26 n'a jamais existé…) Les plus connus sont les normes techniques de l'Internet. La description précise de HTTP, BGP ou IP est dans un RFC. Mais d'autres RFC ne normalisent rien (c'est le cas du RFC 8700, sujet de cet article), ils documentent, expliquent, suggèrent… Tous les RFC ont en commun d'être publiés puis soigneusement gardés par le RFC Editor, une fonction assurée par plusieurs personnes, et aujourd'hui animée par Heather Flanagan, auteure de ce RFC 8700, mais qui a annoncé son départ.
Cette fonction a elle aussi une histoire : le premier RFC Editor était Jon Postel. À l'époque c'était une fonction informelle, tellement informelle que plus personne ne sait à partir de quand on a commencé à parler du (ou de la) RFC Editor (mais la première mention explicite est dans le RFC 902). Postel assurait cette fonction en plus de ses nombreuses autres tâches, sans que cela n'apparaisse sur aucune fiche de poste. Petit à petit, cette fonction s'est formalisée.
Les changements ont affecté bien des aspects de la série des RFC, pendant ces cinquante ans. Les premiers RFC étaient distribués par la poste ! Au fur et à mesure que le réseau (qui ne s'appelait pas encore Internet) se développait, ce mécanisme de distribution a été remplacé par le courrier électronique et le FTP anonyme. Autre changement, les instructions aux auteurs, données de manière purement orales, ont fini par être rédigées. Et l'équipe s'est étoffée : d'une personne au début, Postel seul, le RFC Editor a fini par être une tâche assurée par cinq à sept personnes. Autrefois, la fonction de RFC Editor était liée à celle de registre des noms et numéros, puis elle a été séparée (le registre étant désormais PTI). Puis la fonction de RFC Editor a été structurée, dans le RFC 4844, puis RFC 5620, enfin dans le RFC 6635. Et l'évolution continue, par exemple en ce moment avec le changement vers le nouveau format des documents (voir RFC 7990). Dans le futur, il y aura certainement d'autres changements, mais le RFC Editor affirme son engagement à toujours prioriser la stabilité de la formidable archive que représentent les RFC, et sa disponibilité sur le long terme (RFC 8153).
La section 2 du RFC rappelle les grands moments de l'histoire des RFC (je n'ai pas conservé toutes ces étapes dans la liste) :
Dans la section 3 de ce RFC, plusieurs personnes ayant vécu de l'intérieur l'aventure des RFC écrivent. Steve Crocker, dans la section 3.1, rappelle les origines des RFC (qu'il avait déjà décrites dans le RFC 1000). Il insiste sur le fait que les débuts étaient… peu organisés, et que la création de la série des RFC n'était certainement pas prévue dés le départ. Elle doit beaucoup aux circonstances. Le réseau qui, après bien des évolutions, donnera naissance à l'Internet a été conçu vers 1968 et a commencé à fonctionner en 1969. Quatre machines, en tout et pour tout, le constituaient, un Sigma 7, un SDS 940, un IBM 360/75 et un PDP-10. Le point important est qu'il s'agissait de machines radicalement différentes, un des points distinctifs de l'Internet, qui a toujours dû gérer l'hétérogénéité. Un byte n'avait pas la même taille sur toutes ces machines. (Le terme français octet est apparu bien plus tard, lorsque la taille de huit bits était devenue standard.)
Crocker décrit la première réunion de ce qui allait devenir le Network Working Group puis, très longtemps après l'IETF. Rien n'était précisement défini à part « il faut qu'on fasse un réseau d'ordinateurs » et persone ne savait trop comment le faire. La principale conclusion de la réunion avait été « il faudrait faire une autre réunion ». Dès le début, le réseau qui allait permettre de travailler à distance était donc un prétexte à des réunions AFK. (L'ironie continue aujourd'hui, où l'IETF réfléchit à avoir des réunions entièrement en ligne.)
L'espoir des étudiants comme Crocker était qu'un monsieur sérieux et expérimenté vienne expliquer ce qu'on allait devoir faire. Mais cet espoir ne s'est pas matérialisé et le futur Network Working Group a donc dû se débrouiller.
Parmi les idées les plus amusantes, le groupe avait réfléchi à la création d'un langage portable permettant d'envoyer du code sur une autre machine qui l'exécuterait. Ce lointain prédécesseur de JavaScript se nommait DEL (pour Decode-Encode Language) puis NIL (Network Interchange Language). Mais en attendant le travail matériel avançait, la société BBN ayant obtenu le contrat de construction des IMP (à peu près ce qu'on appelerait plus tard routeurs). La répartition des tâches entre le NWG et BBN n'était pas claire et le groupe a commencé de son côté à documenter ses réflexions, créant ainsi les RFC. Le nom de ces documents avait fait l'objet de longs débats. Le Network Working Group n'avait aucune autorité officielle, aucun droit, semblait-il, à édicter des « normes » ou des « références ». D'où ce titre modeste de Request for Comments ou « Appel à commentaires ». Cette modestie a beaucoup aidé au développement du futur Internet : personne ne se sentait intimidé par l'idée d'écrire des documents finaux puisque, après tout, ce n'était que des appels à commentaires. C'était d'autant plus important que certains des organismes de rattachement des participants avaient des règles bureaucratiques strictes sur les publications. Décréter les RFC comme de simples appels à commentaires permettait de contourner ces règles.
Le premier « méta-RFC » (RFC parlant des RFC) fut le RFC 3, qui formalisait cette absence de formalisme. De la même façon, il n'existait pas encore vraiment de RFC Editor, même si Crocker attribuait les numéros, et que le SRI gardait une archive non officielle. Mais deux principes cardinaux dominaient, et sont toujours vrais aujourd'hui : tout le monde peut écrire un RFC, nul besoin de travailler pour une grosse entreprise, ou d'avoir un diplôme ou un titre particulier, et tout le monde peut lire les RFC (ce qui n'a rien d'évident : en 2019, l'AFNOR ne distribue toujours pas librement ses normes.)
Dans la section 3.2, Vint Cerf décrit les changements ultérieurs. En 1971, Jon Postel est devenu RFC Editor (titre complètement informel à cette époque). Cette tâche était à l'époque mélée à celle d'attribution des numéros pour les protocoles, désormais séparée. Postel s'occupait à la fois du côté administratif du travail (donner un numéro aux RFC…) et de l'aspect technique (relecture et révision), tâche aujourd'hui répartie entre diverses organisations comme l'IESG pour les RFC qui sont des normes. C'est pendant cette « période Postel » que d'autres personnes sont venues rejoindre le RFC Editor comme Joyce Reynolds ou Bob Braden. Jon Postel est décédé en 1998 (cf. RFC 2468).
Leslie Daigle, dans la section 3.3 de notre RFC, rappelle la longue marche qu'a été la formalisation du rôle de RFC Editor, le passage de « bon, qui s'en occupe ? » à un travail spécifié par écrit, avec plein de règles et de processus. (Daigle était présidente de l'IAB au moment de la transition.) Le travail était devenu trop important en quantité, et trop critique, pour pouvoir être assuré par deux ou trois volontaires opérant « en douce » par rapport à leurs institutions. Une des questions importantes était évidemment la relation avec l'IETF. Aujourd'hui, beaucoup de gens croient que « les RFC, c'est l'IETF », mais c'est faux. Les RFC existaient bien avant l'IETF, et, aujourd'hui, tous les RFC ne sont pas issus de l'IETF.
Parmi les propositions qui circulaient à l'époque (début des années 2000) était celle d'une publication complètement automatique. Une fois le RFC approuvé par l'IESG, quelqu'un aurait cliqué sur Publish, et le RFC se serait retrouvé en ligne, avec un numéro attribué automatiquement. Cela aurait certainement fait des économies, mais cela ne réglait pas le cas des RFC non-IETF, et surtout cela niait le rôle actif du RFC Editor en matière de contenu du RFC. (Témoignage personnel : le RFC Editor a joué un rôle important et utile dans l'amélioration de mes RFC. C'est vrai même pour les RFC écrits par des anglophones : tous les ingénieurs ne sont pas des bons rédacteurs.) D'un autre côté, cela résolvait le problème des modifications faites de bonne foi par le RFC Editor mais qui changeaient le sens technique du texte.
La solution adoptée est décrite dans le RFC 4844, le premier à formaliser en détail le rôle du RFC Editor, et ses relations complexes avec les autres acteurs.
Nevil Brownlee, lui, était ISE, c'est-à-dire Independent Submissions Editor, la personne chargée de traiter les RFC de la voie indépendante (ceux qui ne viennent ni de l'IETF, ni de l'IAB, ni de l'IRTF.) Dans la section 3.4, il revient sur cette voie indépendante (d'abord décrite dans le RFC 4846). En huit ans, il a été responsable de la publication de 159 RFC… Avant, c'était le RFC Editor qui décidait quoi faire des soumissions indépendantes. Comme le rappelle Brownlee, le logiciel de gestion de cette voie indépendante était un simple fichier texte, tenu par Bob Braden.
Le principal travail de l'ISE est de coordonner les différents acteurs qui jouent un rôle dans ces RFC « indépendants ». Il faut trouver des relecteurs, voir avec l'IANA pour l'allocation éventuelle de numéros de protocoles, avec l'IESG pour s'assurer que ce futur RFC ne rentre pas en conflit avec un travail de l'IETF (cf. RFC 5742), etc. Ah, et c'est aussi l'ISE qui gère les RFC du premier avril.
Puis c'est la RFC Editor actuelle, Heather Flanagan qui, dans la section 3.5, parle de son expérience, d'abord comme simple employée. La charge de travail atteignait de tels pics à certains moments qu'il a fallu recruter des personnes temporaires (au nom de l'idée que la publication des RFC devait être un processus léger, ne nécessitant pas de ressources permanentes), ce qui a entrainé plusieurs accidents quand des textes ont été modifiés par des employés qui ne comprenaient pas le texte et introduisaient des erreurs. L'embauche d'employés permanents a résolu le problème.
Mais il a fallu aussi professionnaliser l'informatique. Le RFC Editor qui travaillait surtout avec du papier (et un classeur, le fameux « classeur noir ») et quelques outils bricolés (la file d'attente des RFC était un fichier HTML édité à la main), a fini par disposer de logiciels adaptés à la tâche. Finies, les machines de Rube Goldberg !
Dans le futur, bien sûr, les RFC vont continuer à changer ; le gros projet du moment est le changement de format canonique, du texte brut à XML. Si l'ancien format avait de gros avantages, notamment en terme de disponibilité sur le long terme (on peut toujours lire les anciens RFC, alors que les outils et formats à la mode au moment de leur écriture sont depuis longtemps oubliés), il avait aussi des inconvénients, comme l'impossibilité d'utiliser d'autres caractères que l'ASCII. Le RFC 7990 décrit le nouveau format, actuellement en cours de déploiement.
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