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Mon livre « Cyberstructure »

Ève

Fiche de lecture : Alexandria

Auteur(s) du livre : Quentin Jardon
Éditeur : Gallimard
978-2-0728-5287-9
Publié en 2019
Première rédaction de cet article le 2 mars 2022


Il y a certainement plein d'histoires de la création du Web qui ont été publiées, mais ce livre a un angle original, au plus près des différents acteurs (notamment du peu connu Robert Cailliau) et est très fidèle à la réalité historique.

Ce n'est pas l'œuvre d'un historien, mais il m'a été recommandé par une historienne, et j'ai personnellement suivi deux ou trois des choses citées donc je peux dire que c'est bien raconté et que l'auteur ne reprend pas la plupart des clichés sur l'invention du Web (comme le cliché journalistique courant de dire que Mosaic était le premier navigateur graphique). L'auteur a choisi de centrer son livre sur une quête : un interview de Robert Cailliau qui, normalement, les refuse systématiquement (je ne vous divulgâche pas la fin du livre…). Il y a eu beaucoup de controverses autour de Cailliau et de son rôle exact dans la création du Web. Certains enthousiastes l'ont présenté comme co-inventeur du Web, aux côtés de Tim Berners-Lee, alors que d'autres réduisaient son rôle à presque rien. Il est d'autant plus difficile de trancher que la propagande a joué son rôle (après le départ de Berners-Lee du CERN, le CERN a eu tendance à mettre en avant le rôle de Cailliau qui, lui, était resté) : les différents témoins de l'époque ont tous plus ou moins réécrit l'histoire. Notez que le livre de Jardon fait aussi sortir de l'ombre des personnes encore moins connues que Cailliau comme Nicola Pellow, l'auteure du client Web LineMode.

Mais, surtout, et je vais donner là mon opinion personnelle, la discussion sur le rôle de Cailliau est faussée par une conception erronée de l'invention et des inventeurs. On présente en général l'invention comme jaillie d'une traite d'un cerveau unique, sans préparation initiale et sans participation collective. Mais ce n'est pas ainsi que les choses se passent. Ainsi, je trouve tout à fait vain de chercher « l'inventeur du datagramme », comme s'il y en avait un, alors que c'est un concept qui a mûri lentement et dans de nombreux esprits. Autre problème, on oublie complètement l'importance de la mise en œuvre et du déploiement. L'idée n'est pas grand'chose, c'est la réalisation qui compte. C'est pour cela qu'il est tout à fait faux de dire que les escrocs Winklevoss ont « co-inventé » Facebook ; une idée de réseau social, ce n'est pas un réseau social. Bref, Cailliau n'a pas eu l'idée originale du Web mais a joué un grand rôle dans la maturation et la diffusion de l'idée.

Ah, et pourquoi « Alexandria » ? Parce que c'était le nom d'un projet de Cailliau d'une grande bibliothèque (en référence à la bibliothèque d'Alexandrie) créée au-dessus du Web pour lui donner le contenu nécessaire. Le projet avait été soumis notamment aux instances de l'Union Européenne, qui n'avaient évidemment jamais donné suite (les mêmes instances qui se plaignent aujourd'hui de la domination étatsunienne sur le Web). Finalement, le projet a été réalisé par la base, avec Wikipédia.

Le livre parle longuement des nombreuses polémiques autour du lent déploiement du Web, du rôle du NCSA (les médias étatsuniens allaient jusqu'à gommer complètement le rôle de Berners-Lee), et de la création douloureuse du W3C. Il rappelle que l'Internet n'est pas un monde de Bisounours, et que les enjeux étaient importants. Une lecture très recommandée pour comprendre le processus de l'innovation.

L'auteur du livre est un des participants au podcast de France-Culture sur l'histoire de l'Internet, dans l'épisode 5 (ne vous fiez pas au titre, l'émission est bien plus subtile).

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