Auteur(s) du livre : Jeremy Scahill
Éditeur : Nation books
978-1-84668-652-8
Publié en 2008
Première rédaction de cet article le 12 novembre 2008
Autrefois, les sociétés de mercenaires, qui louaient leurs services aux États pour des coups tordus divers, notamment en Afrique, étaient de petites sociétés européennes ou sud-africaines, comme Sandline ou Executive Outcomes. Pas de bureaux connus, peu de frais de fonctionnement, pas de paperasses, pas de scrupules excessifs. En France, avec Bob Denard, on avait même des organisations complètement informelles, juste un groupe de brutes qui se connaissaient bien et pouvaient répondre à un coup de téléphone en cinq minutes. Mais les États-Unis sont rentrés sur ce marché et ils l'ont sérieusement professionnalisé. La plus importante société de mercernariat privée au monde, Blackwater, marque l'entrée du mercenariat dans l'ère corporate : bataillons d'avocats, service de propagande (pardon, de « communication ») étoffé, et activités de lobbying et de marketing intenses.
Le journaliste Jeremy Scahill a enquêté pendant des annnées sur Blackwater et en a sorti ce livre, la référence sur le monde des « sociétés militaires privées » (il s'agit de la seconde édition). Suivant la mode idéologique du moment, développement de la sous-traitance et réduction du rôle du service public, ces sociétés s'attaquent à ce qui semblait le dernier bastion de la puissance publique, la violence armée. En Irak, il y a déjà davantage de mercenaires que de soldats réguliers. Et cela devrait continuer puisque, comme le dit franchement le PDG de Blackwater, « Quand vous voulez envoyer un colis, vous ne faites pas confiance à la Poste, vous le passer à FedEx. C'est pareil pour les questions de sécurité. ».
Si, au début, les tâches des mercenaires (appelés « sous-traitants civils » désormais) se limitaient à des missions peu glorieuses de gardiennage, désormais, ils sont parfois engagés dans des combats, jusqu'à commander des troupes régulières. S'ils se limitaient aux terres lointaines et exotiques, ils sont maintenant également utilisés sur le sol national, comme à la Nouvelle-Orléans après Katrina.
Scahill décrit en détail ce monde, les budgets considérables dont il dispose, les liens étroits entretenus avec le gouvernement de Washington, la façon dont il s'est rendu indispensable au fur et à mesure du dégraissage de l'armée régulière. Blackwater réussit à payer ses hommes bien plus chers que l'armée (mais sans retraite et sans aucun avantage social), tout en se prétendant moins cher qu'elle (mais les budgets sont tellement opaques qu'il est difficile de savoir ce qu'il en est).
Dans des pays comme l'Irak, les « sous-traitants » opèrent dans la plus totale impunité. N'étant pas aux États-Unis, ils ne sont pas soumis aux lois de ce pays. N'étant pas des militaires d'active, ils ne sont pas soumis aux lois militaires ; si indulgentes soient-elles pour les tortionnaires d'Abou Ghraib, il faut noter que plusieurs soldats ont été poursuivis devant la justice militaire pour des crimes contre des civils irakiens, ce qui n'a jamais été le cas des mercenaires, même après des massacres comme celui de la place Nisour.
La puissance de cette armée privée (qui dispose même désormais de son aviation) est d'autant plus inquiétante que ses dirigeants ont un autre but dans la vie que de gagner de l'argent. Tous professent un christianisme intégriste et guerrier, et voient leur rôle comme une composante d'une croisade. Peut-être y a t-il une part de marketing dans cette attitude. Ce serait encore le moins effrayant.
Ce ne serait pas la seule contradiction de Blackwater : les lois du capitalisme sont rudes et la concurrence (DynCorp, Triple Canopy) est très présente. Après avoir clamé bien fort son patriotisme et son chauvinisme, Blackwater a fini par embaucher des chiliens et des salvadoriens car ils coûtent moins cher que les états-uniens et leur famille ne risque pas de faire un procès s'ils meurent en Afghanistan.
Peu d'hommes politiques aux États-Unis se risquent à regarder de près ce que fait le Pentagone avec les mercenaires. Scahill épingle ainsi l'inactivité de Clinton au Sénat et note qu'Obama a été plus inquisiteur... mais aussi que le recours au mercenariat est tellement présent partout qu'il sera difficile au nouveau président de revenir en arrière.
Un excellent livre, donc, sur ce monde dangereux et fermé. Il a été composé à partir d'articles parus dans la presse et il y a donc souvent des redites (parfois mot pour mot) mais c'est un reproche mineur, l'important est d'avoir des informations soigneusement vérifiées et à jour sur ce milieu.
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