Première rédaction de cet article le 6 juillet 2020
Aujourd'hui 6 juillet, le Conseil National du Numérique a publié son étude de cas sur l’interopérabilité des réseaux sociaux. Un petit résumé.
Si vous avez déjà essayé de convaincre un utilisateur ou une utilisatrice de Facebook ou d'un autre réseau social centralisé de quitter cet environnement néfaste et d'utiliser des réseaux sociaux libres et décentralisés comme le fédivers, vous savez que c'est très difficile, notamment en raison de l'argument choc « mais tous mes amis / clients / électeurs / camarades y sont, je dois y être aussi, quelles que soient mes opinions personnelles, je ne peux pas me permettre de me déconnecter d'eux ». (Très peu de gens justifieront leur choix en disant que le GAFA est de meilleure qualité que les alternatives.) Effectivement, ce verrouillage des utilisateurs est la grande force des GAFA : en pratique, on ne peut pas partir, sauf à se résigner à mener une vie peu sociale en compagnie de trois libristes dans un garage.
Le problème est connu depuis longtemps. Quelles sont les solutions ? On peut être optimiste et continuer à essayer de convaincre utilisatrices et utilisateurs. Cela prend du temps et le succès n'est pas garanti. On peut aussi se résigner, et n'utiliser que les réseaux sociaux des GAFA. Ou bien on peut essayer d'ouvrir une brèche dans le monopole de ces réseaux sociaux en leur imposant l'interopérabilité.
De quoi s'agit-il ? L'idée est très banale et déjà très répandue sur l'Internet : il s'agit de permettre à des serveurs gérés par des organisations différentes, et réalisés par des programmeurs différents, de communiquer. C'est banal car c'est exactement ainsi que fonctionne, depuis ses débuts (antérieurs aux débuts de l'Internet…) le courrier électronique. On peut échanger des messages avec des gens qui ne sont pas chez le même hébergeur de courrier que soi, et encore heureux. Comme le notait la rapporteuse de l'étude, Myriam El Andaloussi, « L'interopérabilité a déjà fait ses preuves. » L'interopérabilité est en général assurée par une norme technique rédigée : si tout le monde la suit, on pourra communiquer. (Si vous êtes informaticien·ne, vous savez que l'interopérabilité, en pratique, ne se fait pas forcément toute seule, mais je simplifie.) En fait, l'Internet lui-même est un exemple parfait que l'interopérabilité fonctionne : des machines de fournisseurs différents, gérées par des organisations différentes, communiquent entre elles tous les jours.
Mais le monde des réseaux sociaux, sous la pression des GAFA, ne fonctionne pas comme cela : la règle n'est pas l'interopérabilité, mais le silo isolé. Si vous n'êtes pas utilisateur de Facebook, vous ne pouvez pas envoyer de message à un utilisateur Facebook et réciproquement. Les GAFA pourraient techniquement utiliser des solutions interopérables pour communiquer avec l'extérieur, c'est banal, ce n'est pas très compliqué techniquement (d'autant plus qu'on parle de très grosses entreprises ayant des ressources humaines considérables, en qualité et en quantité). Mais ce n'est clairement pas leur intérêt. Si cela l'était, ils auraient pu le faire depuis longtemps.
Le travail du Conseil National du Numérique (CNN) était de regarder la possibilité d'imposer cette interopérabilité. Compte tenu du poids de ces réseaux sociaux centralisés, il serait anormal qu'ils puissent continuer à utiliser leur position dominante pour verrouiller le « marché » et empêcher toute communication entre eux et l'extérieur. Le CNN a donc consulté beaucoup de monde et produit l'étude qui en résulte. Elle fait donc le tour de la question, et est très exhaustive. Tous les aspects, techniques, politiques, juridiques, sont examinés, et tous les points de vue sont exposés.
C'est d'ailleurs la limite de ce travail : le CNN ne tranche pas vraiment, il ménage la chèvre et le chou, montre des pistes, liste les avantages et les inconvénients mais ne fait pas vraiment de recommandation concrète. Il déblaie le terrain mais ce ne sera pas suffisant face aux GAFA qui, pendant ce temps, consolident toujours plus leur position. Pour échapper à leur domination, il faudrait des mesures immédiates, poussées par une forte volonté politique. L'inertie joue en faveur des GAFA. Discuter sans fin de tel ou tel détail pratique de mise en œuvre de l'interopérabilité ne ferait que pérenniser leur domination.
Le 6 juillet, la sortie du rapport avait été suivi d'une présentation en ligne, puis d'un panel de discussion. En fait, comme beaucoup de panels, il s'était résumé à une juxtaposition de discours, sans interactivité. Il n'est pas étonnant que le représentant de Snapchat se soit déclaré opposé à toute « réglementation contraignante » (comme si le but d'une réglementation n'était pas justement d'obtenir ce que le libre jeu du marché ne produisait pas) et que celle de Facebook ait esquivé comme « trop technique » la seule question du public, sur l'abandon par Messenger du protocole XMPP qui assurait, à une époque, l'interopérabilité de Messenger.
Quelques lectures utiles sur ce sujet de l'interopérabilité des réseaux sociaux :
Version PDF de cette page (mais vous pouvez aussi imprimer depuis votre navigateur, il y a une feuille de style prévue pour cela)
Source XML de cette page (cette page est distribuée sous les termes de la licence GFDL)