Première rédaction de cet article le 17 janvier 2010
Dernière mise à jour le 20 janvier 2010
Le tremblement de terre qui a frappé
Haïti le 12 janvier 2010 a déjà fait l'objet de
beaucoup d'articles, notamment sur les mesures d'aide qui ont été
prises. Je voudrais ici détailler un aspect tout à fait secondaire,
mais qui illustre bien le fonctionnement actuel de
l'Internet : la reconfiguration du
domaine de premier niveau
.HT
, pour lui garantir un
fonctionnement prolongé. (Cet article est conçu pour tous, des détails
techniques sur le DNS figurent à la fin.)
Comme tous les pays, Haïti a un
nom de domaine dit « de
tête » ou « de premier niveau », qui identifie le pays. En
l'occurrence, c'est
.HT
. On peut donc avoir
des ressources Internet avec des noms comme
www.fds.edu.ht
ou
rddh.org.ht
. Les liaisons Internet ont toutes été
détruites lors du tremblement de terre mais les ressources (par
exemple les sites Web) accessibles via un nom
en .HT
étaient parfois hebérgés à l'extérieur du
pays et pouvaient donc continuer à être accessibles... si les noms en
.HT
marchaient toujours. Malheureusement,
beaucoup de domaines (y compris des domaines de tête) sont publiés par
un nombre de serveurs
très limités, tous situés en un seul endroit. En cas de panne
électrique ou de coupure de la liaison Internet, le service de noms ne
fonctionne plus et, même si le serveur Web est toujours là, les
clients ne peuvent plus trouver son adresse et donc le joindre.
Au contraire, .HT
est
bien géré (et bravo à ce sujet à Stéphane Bruno et Max Larson Henry) :
il a six serveurs de noms, deux en Haïti, un en
France, un au Canada, un
aux États-Unis et un autre, géré depuis les
États-Unis mais physiquement distribué sur
toute la planète. .HT
n'a donc jamais cessé de
fonctionner.
Par contre, cela ne pouvait pas durer éternellement : pour des
bonnes raisons techniques, les serveurs
secondaires, situés à l'étranger, arrêtent tout
service s'ils ne peuvent pas joindre le primaire
pendant un certain temps. Et, de toute façon, toute modification des
noms en .HT
est gelée tant que le primaire n'est
pas joignable.
S'il n'y avait pas d'urgence immédiate, il fallait néanmoins
agir. En l'absence de toute communication avec les gérants du
.HT
, dans la nuit du 14 au 15 janvier, les
responsables des serveurs secondaires, sous l'impulsion de Bill
Woodcock, de PCH, ont commencé à reconfigurer
.HT
pour un fonctionnement plus durable. Une
copie de la base de données du registre se
trouvait en Australie, chez
Cocca. Un de leurs techniciens, Garth Miller, a configuré une machine
comme primaire, les gérants des secondaires ont changé à leur tour la
configuration de leurs machines (merci à Jean-Philippe Pick pour avoir
réagi particulièrement vite) et, le 16 janvier au soir, après
quelques problèmes techniques, .HT
retrouvait un
fonctionnement normal, qui pourra durer jusqu'à ce que les liaisons
Internet avec les gérants de .HT
et leurs
ordinateurs soient rétablies. (Nous avons appris depuis que l'immeuble
où se trouvait les serveurs a été réduit en poussière. Des organismes
comme l'AFNIC travaillent à remplacer ces
machines dès que les secours d'extrême urgence pourront laisser la
place à l'envoi de matériel informatique. Une partie de
l'infrastructure Internet sur place fonctionne encore, notamment le
point d'échange sur la colline de Boutilliers,
grâce à Reynold Guerrier.)
Le point important à noter est qu'aucun autorité n'a ordonné ou
même approuvé ce changement. Aucun comité ne s'est réuni. Aucune
signature n'a été donnée. Les seules personnes pouvant décider, à
Port-au-Prince, étant injoignables, le travail
de reconfiguration a été fait entièrement entre administrateurs
système des serveurs secondaires. La sécurité de l'Internet n'est en
effet pas celle de murs de béton défendus par des règlements et des
procédures. C'est celle
d'un organisme vivant, dont les leucocytes
sont intelligents et capables d'initiative. (Bien sûr, les
administrateurs de .HT
ont été informés.)
Les leçons à en tirer ? La première est d'assurer la redondance des
serveurs de noms. Ils doivent être plusieurs, et répartis en des
endroits très différents, pour faire face aux différents types de
panne. On peut noter par exemple que
.BD
n'a que deux serveurs
(un troisième est annoncé mais ne répond jamais),
tous les deux à Dhâkâ. En cas de problème
frappant cette ville, comme une inondation, tous les noms se terminant
par .BD
disparaissent. De même,
.PF
n'a que deux serveurs,
tous les deux à Papeete. N'importe quelle
carastrophe naturelle rendrait donc ce domaine inutilisable.
La redondance des serveurs est une chose, celle des données en est une autre. (Dans le cas d'un registre de noms de domaines, la base de données contient la liste des noms délégués.) S'il n'y avait pas eu une copie de la base de données à l'extérieur du pays, elle était peut-être perdue. Il faut donc aussi s'assurer que les données sont réparties.
Bien sûr par rapport au drame que viennent de vivre les habitants d'Haïti, c'est tout petit. Mais j'espère que les petites gouttes d'eau feront les grandes rivières : chaque problème réparé est un outil en plus pour les autres réparations. Au fait, depuis ce travail, Stéphane Bruno a pu être joint, il va bien et il a approuvé le changement. Même chose pour Max Larson Henry.
D'autres utilisations intelligentes de l'Internet ont été faites comme le moteur de recherche des disparus de Google (disponible en anglais, français et créole) ou comme le flux d'informations Twitter de Carel Perdre.
Comme promis, quelques détails techniques, pour ceux qui
connaissent le DNS. Ce protocole est très
résistant aux pannes et, si les serveurs sont bien répartis comme ils
doivent l'être, un domaine peut résister à n'importe quelle
catastrophe. Mais que se passe t-il ensuite ? Les serveurs secondaires
(le terme correct aujourd'hui est d'ailleurs « serveur esclave » pour
de bonnes raisons mais, dans le contexte
d'Haïti, j'ai préféré l'éviter) continuent à servir la
zone pendant une période qui est gouvernée par le champ
Expire
de l'enregistrement
SOA (cf. RFC 1035,
section 3.1.3). Ce champ vaut actuellement pour
.HT
1296000 secondes soient deux semaines et, si
rien n'avait été fait, le domaine .HT
aurait donc
disparu dans quinze jours (le but de ce champ est d'éviter qu'un ancien
esclave oublié continue à servir des données dépassées
éternellement). Il y a une seconde raison pour le travail de
reconfiguration qui a été fait : il permet de modifier la zone et
donc, si nécessaire, d'ajouter des nouveaux domaines ou bien de
changer les adresses IP des serveurs de noms des domaines existants,
pour assurer leur continuité (un serveur esclave, comme son nom
l'indique, ne peut pas modifier les données). Aujourd'hui, on voit que
les quatre serveurs extérieurs (dont le serveur
anycast de
PCH) sont bien à jour (ils ont tous le même
numéro de série, qui est postérieur au séisme) :
% check_soa ht There was no response from ns2.nic.ht There was no response from ns1.nic.ht dns.princeton.edu has serial number 2010011820 charles.cdec.polymtl.ca has serial number 2010011820 ht-ns.anycast.pch.net has serial number 2010011820 ns3.nic.fr has serial number 2010011820
À noter également que l'actuel serveur maître, chez Cocca, n'apparait pas dans les enregistrements NS : c'est un maître caché (en anglais, on dit un stealth).
Le domaine nic.ht
a été à son tour reconfiguré
sur le même principe, avec l'idée de faire revivre le NIC à distance.
D'autres articles sur les technologies de l'information et Internet, dans le tremblement de terre :
.HT
:
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