Première rédaction de cet article le 18 novembre 2012
Le World Wide Web a permis la mise à disposition, pour beaucoup de gens, d'une quantité formidable d'informations, beaucoup n'étant accessible autrefois qu'à une petite minorité. C'est par exemple le cas des informations médicales. Mais peut-on se fier à ce qu'on trouve sur le Web ?
Bien sûr, les gens qui connaissent le Web savent déjà la réponse : « c'est comme les sources d'information traditionnelles (experts ou papier) : ça dépend ». Mais il y a des gens qui ne connaissent pas le Web et qui racontent n'importe quoi à ce sujet. On voit dans le film « La guerre est déclarée » les deux parents discuter, après avoir appris que leur enfant souffre d'une grave maladie, de la stratégie à adopter. Ils s'engagent à ne jamais chercher d'information sur l'Internet, et à se fier exclusivement aux médecins. Bonne idée ou pas ? Cela dépend.
Plus embêtant, un article « Attention Dr Google n'existe pas ! » dans « La revue des parents », magazine de la FCPE (numéro d'octobre 2012). D'abord, parce que le titre confond le Web avec un moteur de recherche particulier, celui de Google. Cela indique bien que l'auteure de l'article n'a pas les idées très claires sur le Web (sur les défauts des moteurs de recherche, cf. mon exposé ). Mais surtout embêtant car l'article défend un point de vue très réactionnaire : seuls les experts savent, il ne faut se fier à personne d'autre. Et de citer abondamment... un représentant de l'Ordre des médecins, institution créée par Vichy et dont la ligne politique est plutôt à l'opposé de celle de la FCPE. Mais, dès qu'il s'agit d'Internet, les autorités traditionnelles font bloc et organisent la résistance commune. Les intermédiaires voient leur exclusivité d'accès à l'information remise en cause et, au lieu de chercher une nouvelle façon de pratiquer leur métier, préfèrent jeter le bébé avec l'eau du bain et décréter qu'Internet, le Web et Google (notions qu'ils confondent en général complètement) sont le Mal (ce syndrome frappe beaucoup les journalistes, par exemple).
L'article note pourtant, à juste titre, que si les patients consultent le Web, c'est tout simplement qu'ils ne sont pas satisfaits de leur médecin ! Absence de réponses aux questions, consultations expédiées en vitesse, difficultés à avoir un rendez-vous, impossibilité de dialoguer avec un médecin en dehors du rendez-vous physique (mes félicitations au passage à la pédiatre de mes enfants, qui a toujours été disponible au téléphone pour les parents inquiets). Malgré quelques exceptions, c'est cela, le vécu des patients. Et le Web, lui, est toujours disponible. Avant de taper sur Google, les médecins (et les journalistes) devraient d'abord s'interroger sur leur propre pratique.
Autre erreur courante dans l'article de « La revue des parents », celle de prêter à des entités abstraites des pensées et des intentions. « Il ne faut pas croire tout ce que disent les sites », affirme bien haut le représentant de l'Ordre. Mais « les sites » ne disent rien, ce sont des humains qui écrivent les textes. Le Web ne met pas en communication des lecteurs avec des « sites » mais des humains avec d'autres humains. Ceux qui écrivent les textes qu'on peut lire sur le Web sont, comme tous les humains, capables de se tromper, de mentir... ou de donner gratuitement de l'information correcte et bien expliquée.
Plus drôle, l'accusation comme quoi l'information trouvée sur « les sites » serait douteuse car certains sites Web sont financés par la publicité qui peut les influencer. Comme si les médecins, eux, tiraient leurs informations uniquement de leur pratique et de leurs collègues, et pas des visiteurs médicaux et des brochures des laboratoires pharmaceutiques ! (Ce numéro de « La revue des parents » a, en dernière page, une publicité pour des substances bénéfiques, maigrir, « purifier l'organisme », retrouver son tonus, substances « conseillées par des experts de haut niveau ».) Cette mésinformation des médecins par la publicité est un des chevaux de bataille de la revue Prescrire.
Autre erreur fondamentale commises par ces représentants de l'autorité qui expliquent que le Web est dangereux : tout mettre dans le même panier. Il existe des tas de sites différents. Doctissimo, ce n'est pas la même chose que le blog d'un médecin et ce n'est pas la même chose qu'un site Web d'un illuminé qui vend des poudres comme dans la publicité citée ci-dessus. Au fait, il existe un effort pour labeliser les sites Web qui donnent de l'information sérieuse en médecine, le label HON que vous verrez souvent sur les sites médicaux. (Il est bien sûr contesté.)
C'est pourtant le même représentant de l'Ordre qui donne une bonne piste d'amélioration des choses : « Nous encourageons les médecins à créer leur propre blog avec des liens sûrs scientifiquement [...] pour guider les patients ». Excellente démarche (qu'il ne suit pas complètement : en tout cas Google ne trouve pas de blog à son nom - mais il est sur Twitter) : si on n'est pas satisfait de ce qui existe sur le Web (et on trouve en effet plein d'énormités), il faut diffuser de la bonne information, et pas se replier dans sa tour d'ivoire. Soyons positifs, terminons sur un bon exemple, le site de Martin Winckler.
Merci à Fil, Victoria Bohler, Julien Moragny et André Sintzoff pour leurs utiles remarques et corrections (naturellement, le ton, les idées et le choix des mots et des opinions sont de moi, pas d'eux).
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