Première rédaction de cet article le 24 novembre 2007
Il me semble qu'on voit de plus en plus souvent des gens affirmer que le développement de l'Internet en Afrique se fera avec des applications non-écrites, car les Africains seraient de culture essentiellement orale.
J'avais entendu cette affirmation de la part de gens extérieurs au continent, et je soupçonnais qu'il y avait une bonne dose de racisme dedans : le cliché de l'Africain sympa, drôle, mais incapable d'un travail intellectuel difficile et, notamment, incapable de lire et d'écrire des textes sérieux, est fortement ancré dans les mentalités des gens du « Nord ». Mais je vois aussi des Africains reprendre ce discours, par exemple, dans le livre « Internet governance in a global multi-stakeholder environment » (édité par Wolfgang Kleinwächter dans la collection Germany, Land of Ideas), je lis un texte de Titi Akinsanmi, qui travaille pour une ONG Sud-africaine : « Une des questions centrales de l'Internet est la domination de l'écrit dans le contenu disponible en ligne. Cela exclut les analphabètes de toute participation. Ce problème est particulièrement important en Afrique sub-saharienne, dont les racines culturelles, en matière d'échange d'information et de connaissance, sont orales et picturales. »
Alors, là, je bondis. Le fait que la majorité des habitants, dans la plupart des pays africains, soient analphabètes, n'a rien à voir avec une quelconque « culture orale ». Ces soi-disants racines culturelles ne sont que le résultat de la pauvreté, du manque de moyens pour l'enseignement et de la discrimination contre certaines parties de la population, notamment les femmes. Les Africains n'ont pas choisi d'être analphabètes parce qu'ils préfèrent l'oral, ils n'ont pas eu le choix.
En Europe, au Moyen Âge, et même longtemps après, l'écrasante majorité de la population était analphabète. Personne n'a prétendu que c'était une tradition culturelle à respecter et à maintenir. Bien au contraire, des mesures actives ont été prises pour permettre à tous de maitriser l'écrit. Ce sont les mêmes mesures qu'il faut prendre aujourd'hui en Afrique.
Pour revenir à Internet, Titi Akinsanmi va jusqu'à prétendre qu'il faudrait développer les protocoles non-texte, comme les services audio ou vidéo. Ce sont justement ceux qui consomment le plus de bande passante, une ressource déjà rare en Afrique. Alors qu'il déplore le sous-équipement informatique de l'Afrique, il propose ensuite d'aggraver le problème en utilisant la vidéo plutôt que le courrier électronique. Voilà à quels paradoxes mène cette croyance rétrograde dans une soi-disant prédisposition des Africains pour l'oral.
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