Auteur(s) du livre : Arika Okrent
Éditeur : Spiegel & Grau
978-0-385-52788-0
Publié en 2009
Première rédaction de cet article le 1 janvier 2011
Il y a déjà eu plusieurs livres consacrés aux langues construites, ces langues créées de toutes pièces pour essayer d'effacer Babel, pour faire progresser la science, ou tout simplement par intérêt intellectuel. Le livre d'Arika Okrent, écrit par une linguiste mais accessible à tous, se distingue par un ton léger, plein d'anecdotes amusantes mais aussi une réflexion sur ce processus de création. L'auteur a de la sympathie pour les inventeurs mais aucune illusion quant à leurs chances de succès : inventer une langue est une chose, faire qu'elle soit adoptée en est une autre. D'autant plus que bien des inventeurs, tout à leur passion, en oublient la simple utilisabilité... Et qu'ils ont souvent une approche trop rationnelle, croyant qu'une langue est meilleure si on la conçoit scientifiquement, sans se demander si les bizarreries des langues naturelles ne sont pas indissociables de leur utilité.
Depuis la première que l'histoire a enregistré, la Lingua Ignota d'Hildegarde de Bingen, il y a eu tellement eu de langues construites qu'on ne peut pas les mentionner toutes. Dans son court livre, Okrent se focalise sur quelques langues :
L'auteur a à chaque fois essayé d'apprendre la langue en question et d'écrire au moins un court texte. Ses récits de débutante sont la meilleure part du livre. Ce n'était pas un apprentissage facile car certaines de ces langues n'ont manifestement jamais été testées par leur concepteur avant d'être publiées. Okrent compare ainsi le fait de parler en Lojban à de la programmation plus que de la conversation : il faut très soigneusement réflechir à chaque détail de la phrase, tout a son importance, mais lorsqu'on y arrive, on est très fier.
Mais les langues construites sont aussi une aventure humaine et Arika Okrent décrit sans complaisance les inventeurs, dont certains poussaient très loin la trollitude. C'est ainsi que James Brown, par exemple, kidnappera son enfant suite à une dispute conjugale, et lui déniera tout contact avec sa mère pendant des années. D'autre part, et comme Charles Bliss, il passera l'essentiel de son temps à faire des procès à tous ceux qui essayaient d'adopter son système, en décourageant ainsi la plupart (c'est de là que vient la création du Lojban, Brown ayant déposé la marque Loglan...)
Depuis qu'on crée des langues, y a-t-il eu des changements ? Oui, dit l'auteur : elle distingue trois phases dans la riche histoire des langues construites. La première, vers les 17ème et 18ème siècles, nourrie de la Raison, a essayé de construire une langue qui exprimerait parfaitement les concepts. L'idée-force de cette phase, dont le meilleur représentant était Wilkins, était que les langues naturelles sont un obstacle à la communication par leur manque de précision (par exemple, un mot peut signifier plusieurs choses) et que la langue parfaite devait être conçue en commençant par une tentative (héroïque mais évidemment vaine) de classifier tous les concepts possibles (des plus concrets aux plus abstraits), concepts qu'il suffirait ensuite d'utiliser.
La seconde phase, essentiellement vivante au 19ème siècle et connue surtout par le volapük et l'espéranto, est plus pragmatique : il ne s'agit plus de faire une langue parfaite mais de faire une langue qui soit utilisable par tous. L'idée est politique : si les hommes parlent la même langue, ils se feront moins la guerre. Cette idée très 19ème, période de guerres violentes entre les États-nations en construction ou déjà établis, se comprend mieux lorsqu'on sait que dans la ville natale de Zamenhof, quatre communautés linguistiques étaient présentes, et pas dans une bonne entente...
Contrairement aux concepteurs de la première phase, qui se focalisaient sur la perfection de leur œuvre, l'adoption devant ensuite suivre naturellement, ceux de la deuxième phase ont une approche plus militante et passent beaucoup de temps, à promouvoir leur langue, par l'exemple et la conviction.
Et la troisième phase ? Présente essentiellement au 20ème siècle, elle a souvent renoncé à avoir trop d'ambitions : désormais, l'adoption par les masses est secondaire, on conçoit des langues pour s'amuser, pour tester une idée scientifique (ce fut le cas du Loglan), pour une série télévisée (le Klingon). Loin des anciennes rivalités entre langues construites (chacune essayant d'attirer davantage de locuteurs), cela devient même un sujet de rassemblement, comme les conférences de conlangers, où on échange sur les meilleures techniques de création de langues...
Parmi les autres ouvrages sur le sujet des langues construites, on cite souvent « La quête d'une langue parfaite dans l'histoire de la culture européenne » d'Umberto Eco mais je ne l'ai pas encore lu...
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