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Fiche de lecture : Quand les travailleurs sabotaient

Auteur(s) du livre : Dominique Pinsolle
Éditeur : Agone
978-2-7489-0563-2
Publié en 2024
Première rédaction de cet article le 28 octobre 2024


Aujourd'hui, le terme de « sabotage » renvoie uniquement à des activités sournoises et clandestines, non revendiquées officiellement. Mais, à une époque, le terme était ouvertement discuté dans certaines organisations ouvrières, et considéré par certains comme un moyen de lutte parmi d'autres. Ce livre revient sur l'histoire du concept de sabotage, notamment à propos des débats qu'il avait suscité dans le mouvement ouvrier.

C'est difficile de parler du sabotage aujourd'hui car le concept a été brouillé par les médias qui l'ont présenté systématiquement comme un acte destructeur, voire meurtrier. Or, lorsque le terme a été popularisé en France à la fin du XIXe siècle, c'était dans un sens triplement différent : il n'était pas forcément destructeur (le simple ralentissement de la cadence était inclus dans le sabotage), il était revendiqué publiquement et, surtout, il faisait l'objet de nombreuses discussions ayant pour but d'en fixer les limites (notamment le tabou de la violence contre les personnes). Car, à la Belle Époque, un syndicat comme la CGT pouvait ouvertement inscrire le sabotage dans ses résolutions votées au congrès.

Le livre se focalise sur deux moments de cette politisation du sabotage. L'acte lui-même est certainement bien plus ancien mais la nouveauté, due notamment à Pouget, était d'en faire un moyen de lutte collective, assumé comme tel.

Après la période française, la revendication publique du sabotage a connu une deuxième période, aux États-Unis, où l'IWW en faisait un de ses moyens d'action. (Le livre rappelle, et c'est très important, le contexte de la lutte de classes aux USA, marqué par une extrême violence patronale, avec utilisation fréquente de milices privées qui, elles, n'avaient aucun scrupule à utiliser la violence contre les personnes, et en toute impunité.) Le livre détaille ces deux périodes, et met l'accent sur les innombrables discussions politiques au sein du mouvement ouvrier autour du sabotage, de sa légitimité, de ses liens avec les autres formes de lutte et avec les travailleurs, des limites qu'on s'impose, et des risques, qu'ils soient d'accident, de débordement par des irresponsables, ou de difficulté à empêcher la diabolisation par les médias et les politiciens. À la fin, aussi bien la CGT que l'IWW ont renoncé à mentionner le sabotage, en partie à cause des difficultés qu'il y avait à l'expliquer aux travailleurs. (Et aussi à le contrôler : l'auteur cite Jaurès qui disait que le sabotage était la forme de lutte qu'il fallait le plus contrôler, alors qu'elle était aussi la plus difficile à contrôler.) Cela n'a pas mis fin au sabotage : l'auteur note qu'en France, il y a même eu davantage de sabotages après que la CGT l'ait retiré de son programme.

J'ai noté que l'auteur parlait très peu de la Résistance, un autre moment où le sabotage était assumé et glorifié. Mais c'est sans doute que, là, il n'y avait pas de débat : aucun résistant ne discutait la légitimité du sabotage sans limite. L'OSS les aidait même, avec son fameux « manuel du sabotage » (qui, il faut le rappeler, incluait aussi des méthodes non destructrices comme de ralentir le travail).

Pour d'autres périodes, l'auteur expose les différentes façons de pratiquer le sabotage, incluant par exemple la grève du zèle. Il cite l'exemple du « sabotage de la bouche ouverte » chez les serveurs de restaurant au début du XXe siècle : on sert le client mais on lui dit tout ce qu'il y a vraiment dans le plat servi. De nombreuses idées astucieuses de ce genre ont surgi dans le débat.

Le sabotage, qui était bien plus ancien que le livre de Pouget, reste toujours d'actualité, comme on l'a vu dans l'affaire de Tarnac (jamais élucidée, notamment en raison du comportement des enquêteurs qui, certains de tenir les coupables, ont bâclé l'enquête) ou dans les récentes attaques contre les liaisons Internet, là aussi non revendiquées. (Il y en avait eu aussi en avril 2022, cf. article de Numérama et article du Nouvel Obs.) On est à l'opposé des théories des « syndicalistes révolutionnaires » du XIXe siècle puisqu'on atteint le degré zéro de la politique : aucune idée sur les auteurs de ces coupures et leur but.

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