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Un rapport de la RAND sur l'utilisation des cryptomonnaies par les terroristes

Première rédaction de cet article le 8 mai 2021


« Les cryptomonnaies, comme le Bitcoin, financent le terrorisme » est un cliché classique lors des discussions sur ces cryptomonnaies. Dans quel mesure est-ce vrai ? L'argent, c'est le nerf de la guerre et, sans argent, une organisation ne va pas bien loin. Comment font les terroristes ? Sans avoir besoin de risquer votre vie en allant enquêter sur le financement de Daech, ce rapport de la RAND « Terrorist Use of Cryptocurrencies » est une analyse intéressante.

(Pour celles et ceux qui ne connaissent pas, la RAND n'est pas Framasoft ou la Quadrature du Net. Politiquement, c'est d'un tout autre bord, et il faut lire leurs analyses en se rappelant que leur but est défendre l'impérialisme étatsunien. Mais cela n'empêche pas que ces études contiennent souvent des informations utiles.)

Évidemment, connaitre le fonctionnement financier d'une organisation clandestine est difficile. Il n'y a pas d'informations publiques fiables, et on rencontre par contre beaucoup de discours sensationnalistes, fondés sur l'ignorance ou bien la mauvaise foi. Annoncer que les terroristes utilisent les cryptomonnaies précède en général des discours appelant à interdire ou en tout cas à restreindre sérieusement l'utilisation de ces cryptomonnaies. Comme on manque de faits précis (mais la bibliographie contient beaucoup d'éléments), ce rapport repose plutôt sur l'analyse : quels sont les propriétés utiles d'un mécanisme financier pour un groupe terroriste, et en quoi les cryptomonnaires ont, ou pas, ces propriétés ? Le rapport est détaillé, largement sourcé, et manifestement écrit par des gens qui connaissent bien le monde des cryptomonnaies, contrairement à la grande majorité des déclarations ou articles sur le Bitcoin. Une lecture que je vous recommande, donc.

Je vous divulgue tout de suite les conclusions : il n'y a pas d'utilisation significative des cryptomonnaies par les organisations terroristes, mais ça pourrait changer dans le futur. Voyons ces deux points.

(Point de terminologie au passage : je sais bien que « terrorisme » est un terme très polysémique, et d'un usage délicat. J'ai choisi la solution de facilité en reprenant ce terme tel que l'utilise le rapport. Notez que la RAND se focalise sur le terrorisme au Moyen-Orient, notamment Daech, même si les narcos latino-américains sont brièvement mentionnés.)

Une organisation terroriste a plusieurs activités financières ; par exemple, la levée de fonds auprès de donateurs, le financement d'attaques, le financement de l'infrastructure, les trafics illégaux pour remplir les caisses, etc. Certaines de ces activités sont proches de celles d'autres entreprises ou associations, d'autres sont plus spécifiques au terrorisme. Une organisation terroriste importante doit s'attendre à avoir des adversaires redoutables et doit donc bien réfléchir aux outils et aux méthodes employées, pour diminuer les risques. Sécuriser son portefeuille Bitcoin ne pose pas les mêmes problèmes quand on est un particulier visé uniquement par des attaques opportunistes et quand on est un groupe terroriste en guerre ouverte contre un État puissant. Les auteurs du rapport listent ensuite une série de propriétés des cryptomonnaies, essayant de voir si elles sont importantes ou pas pour les activités financières citées plus haut. Ainsi, l'utilisabilité d'une cryptomonnaie (disponibilité de logiciels sûrs et simples d'utilisation) est importante pour les dons des sympathisants, beaucoup de donateurs renonceront s'ils n'arrivent pas à envoyer de l'argent, mais elle est nettement moins cruciale pour les trafics illégaux, où seuls quelques professionnels entrainés manipuleront les fonds.

Le rapport analyse ensuite les cryptomonnaies par rapport à ces propriétés. Ainsi, Bitcoin est jugé pas facile à utiliser, pas très répandu dans les pays où opèrent les groupes terroristes considérés, et pas très anonyme. D'autres cryptomonnaies comme Monero ou Zcash sont bien meilleures question anonymat mais encore pires que le Bitcoin question facilité d'utilisation et diffusion. La tonalité générale du rapport est plutôt pessimiste sur les cryptomonnaies, considérant qu'une organisation terroriste rationnelle et compétente n'a guère de raisons de les utiliser. Des membres de Daech ont pu faire des essais, mais on est loin d'une utilisation significative.

Le rapport ne s'arrête pas à cette situation actuelle, et essaie d'analyser ce qui peut arriver dans le futur. C'est évidemment une partie plus faible du rapport, car prédire l'avenir est délicat. Les auteurs notent à plusieurs reprises que des changements dans les cryptomonnaies (apparition d'une nouvelle cryptomonnaie vraiment anonyme, simple à utiliser, répandue, etc) pourrait changer sérieusement la donne. Même chose si la répression sur les flux financiers ne laissait pas d'autres choix aux terroristes. Mais c'est purement théorique, on n'a pas d'indication en ce sens. Le rapport conclut qu'on ne sait pas trop mais qu'il faut rester vigilant.

Merci à Éric Freyssinet pour avoir attiré mon attention sur cet intéressant rapport, suite à un petit déjeuner du FIC.

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