Première rédaction de cet article le 21 décembre 2010
Dernière mise à jour le 22 décembre 2010
Il y a déjà eu beaucoup d'articles, surtout aux États-Unis, à propos du conflit qui oppose deux opérateurs Internet, Comcast et Level 3 (j'ai mis quelques références à la fin). Je n'ai pas de sources privilégiées, je ne suis pas un « blogueur influent » donc je ne vais pas pouvoir vous faire de révélations sensationnelles mais il y a quand même, deux ou trois points que je voudrais traiter. Donc, Comcast réclame à Level 3 des sous et Level 3 porte l'affaire devant le régulateur. Pourquoi ?
Une bonne partie des articles sur le sujet ont cherché, dans un style très hollywoodien, qui était le Bon et qui était le Méchant dans le conflit (en général, Comcast était le Méchant, rôle qu'ils tiennent à la perfection). Mais, évidemment, il n'y a pas de morale ici, juste du business entre deux requins, celui qui était le plus fort encore récemment et celui qui a grossi et exerce ses muscles.
Pour se faire une idée du problème, faisons un petit détour par la technique. D'abord, comme Comcast a accusé Level 3 de « router selon la méthode de la patate chaude », revenons sur cette technique. Soit deux opérateurs situés aux États-Unis. C'est un grand pays. Si un paquet IP part de la côte Ouest pour aller sur la côte Est, il a beaucoup de chemin à faire. Si le paquet part d'un opérateur pour aller vers un autre, qui va utiliser ses précieuses ressources pour lui faire traverser le continent ? Contrairement à ce que Comcast laisse entendre, la méthode la plus répandue a toujours été la patate chaude : l'émetteur essaie de faire sortir le paquet de son réseau le plus vite possible, avant qu'il ne lui brûle les mains. C'est donc le destinataire qui va se taper l'acheminenent. C'est injuste ? Pas si on tient compte du fait qu'une communication met en jeu des paquets dans les deux directions. Au retour, ce sera l'inverse. Si le trafic est à peu près symétrique (en nombre de paquets et en nombre d'octets) qu'on route avec la patate chaude ou avec la patate froide n'a aucune importance, du moment que les deux opérateurs font pareil.
Cette symétrie était celle pour laquelle était prévu l'Internet : chacun pouvant être à la fois consommateur et producteur, l'idée était que le trafic serait à peu près égalitaire, faisant du choix de la température des pommes de terre un choix purement arbitraire et sans conséquences pratiques. Seulement voilà, dans la réalité, les grosses entreprises n'ont pas fait ce choix. Comcast contrôle un marché de consommateurs purs (eyeballs en anglais, ou « temps de cerveau disponible » en français) et Level 3 fait surtout de l'hébergement. Le trafic est donc très asymétrique. Comme on le voit sur le dessin plus haut, si Level 3 héberge un gros fournisseur de vidéo (Netflix, dont l'arrivée chez Level 3 a déclenché la crise), et qu'on utilise la patate chaude, la grande majorité des octets va passer sur le réseau de Comcast, posant donc la question de base « qui va payer ? ».
Il y a des solutions à ce problème. Avant des les regarder, une
note importante : comme tout ceci n'est qu'une histoire de gros sous,
rien n'est documenté publiquement. Le citoyen de base, et même le
sénateur qui se demande s'il doit
voter la neutralité du réseau ou pas, n'ont pas
toute l'information qui permettrait de décider. La mode étant aux
fuites, on a même vu des
graphes de trafic (http://img149.imageshack.us/img149/78/ntoday.gif
et http://img707.imageshack.us/img707/749/sqnday.gif
) prouvant que Comcast étranglait délibérement le
trafic entrant (pour réclamer ensuite des paiements aux fournisseurs
de contenu), envoyés anonymement... (Évidemment aucune garantie
quant à leur véracité.) Si Comcast et Level 3 se préoccupaient
réellement de la vérité, ils commenceraient par publier des
informations précises. (Dans ce genre d'affaires, chacun des requins
prend à témoin l'opinion publique, sans jamais lui donner les moyens
de s'informer et donc de décider.)
Revenons à la technique. Il faut noter que Comcast n'est pas un pair de Level 3 mais un client de son offre de transit. Ce conflit n'est donc pas l'équivalent des classiques crises entre pairs, dont Cogent s'est fait une spécialité. Dans la plupart des contrats de transit, le client a des tas de moyens pour influencer le routage chez son fournisseur, comme les MED. Pourquoi Comcast ne les utilise-t-il pas ?
Le plus probable est que Comcast ne veut pas d'une solution, il veut faire plier Level 3, en profitant de ce que Comcast a une clientèle captive (dans la plupart des villes petites et moyennes, Comcast a un monopole). Deuxième raison, pas incompatible avec la première, Netflix est un concurrent de l'offre TV de Comcast (historiquement, une entreprise de télé par câble). Il y a donc un cas classique de violation de la neutralité du réseau par Comcast, discriminer entre son service et celui des concurrents, quand on cumule plusieurs casquettes (FAI et fournisseur de services).
La meilleure solution serait d'arrêter l'énorme dissymétrie qui existe aujourd'hui entre les opérateurs, selon qu'ils font du contenu ou du temps de cerveau. Il est curieux que Comcast reproche à Level 3 de lui envoyer bien plus d'octets que son client ne lui en transmet, alors que Comcast fait exactement cela à ses propres clients, en leur vendant une offre Internet asymétrique, à bien plus grande capacité dans le sens de la consommation que dans celui de la production. Mais ce n'est pas plus incroyable que Level 3 qui demande l'intervention du régulateur alors que, quand le rapport de forces lui était plus favorable, ses dirigeants bêlaient systématiquement le discours individualiste du « moins d'État, moins de régulation ».
Cette dissymétrie du trafic et des usages fausse tous les débats sur la neutralité du réseau, en créant une source de mécontentement. C'est ce que réclame régulièrement FDN, par exemple. Le développement d'usages plus équilibrés, par exemple avec le pair-à-pair annulerait une bonne partie des discussions récurrentes.
Quelques articles sur le sujet, avec mes commentaires :
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