Première rédaction de cet article le 27 septembre 2015
La consultation gouvernementale sur le « Projet de loi pour une République numérique » est désormais en ligne. Quelques observations personnelles.
La plus importante est évidemment que le gouvernement organise une consultation sur le numérique après que toutes les lois importantes sur le numérique soient passées (et qu'il n'est pas question de les remettre en cause) : LCEN (qui posait le principe de la responsabilité de l'hébergeur, contrairement à ce que prétend son exposé des motifs, et qui imposait la conservation des données sur les activités des internautes), HADOPI (qui organise la défense des intérêts des ayant-trop-de-droits), le décret n° 2015-125 du 5 février 2015 mettant en place la censure administrative, la Loi Renseignement (le Patriot Act hexagonal) qui légalise notamment les fameuses boîtes noires, dispositifs d'espionnage installés dans le réseau... On note qu'il n'y a pas eu de consultation pour les lois présentées par des ministres importants (Cazeneuve ou Macron) mais qu'on en fait une lorsqu'il s'agit d'une loi essentiellement symbolique, portée par une ministre secondaire (Lemaire). On a fortement l'impression qu'une fois tous les grands sujets bouclés, quelqu'un au gouvernement s'est dit « il faudrait quand même laisser quelque chose à Lemaire, quelqu'un a une idée ? »
La provocation la plus claire est l'article sur le secret des correspondances, proposé quelques mois après avoir fait voter, en profitant cyniquement de l'attaque des intégristes contre Charlie Hebdo, la loi Renseignement, qui légalise justement l'écoute massive. Cet article semble avoir été écrit pour proclamer haut et fort « votre avis n'a aucune importance ». Bref, comme le note Jef Mathiot, cette loi aurait dû être baptisée « Loi Miettes » car c'est tout ce qui reste.
Pour participer à la consultation, il faut s'inscrire en ligne. Le site me propose de m'authentifier avec des fournisseurs d'identité, Facebook ou Google ou avec un compte créé localement sur le site (ce que j'ai fait). Les protocoles d'identification ouverts comme OpenID ne sont pas présents. On est loin de ce qui se fait en République tchèque. On apprécie ici l'hypocrisie qui prétend réguler « les plate-formes » (terme des ministères français pour désigner les GAFA, Google, Amazon, Facebook et Apple) alors qu'on encourage leur usage ! (Sans compter les mouchards Google Analytics dans le site Web.)
Une fois inscrit, je note qu'on peut voter sur tout, sauf sur les modalités de la consultation elle-même. Par exemple, aucun endroit pour discuter du fait que les arguments qu'on écrit doivent forcément être étiquetés Pour ou Contre le texte. Cela interdit, par exemple, de poser une question pour éclaircir un point. Ou tout simplement d'exprimer une position complexe. Cette consultation ressemble en effet pas mal à un plébiscite : soit on met un argument Pour et on est alors classé comme soutenant le gouvernement, soit on met un argument Contre et on risque alors de mettre en péril les progrès très modestes du projet de loi. Par exemple, dans l'article sur l'accès aux publications de la recherche publique, il est proposé de permettre cet accès après douze mois. Si c'est un progrès par rapport aux exigences exorbitantes des ayant-tous-les-droits (comme Elsevier) qui font actuellement la pluie et le beau temps au parlement et au gouvernement, c'est néanmoins très en retrait par rapport au respect de la volonté de l'auteur (qui devrait avoir le droit de rendre publics immédiatement ses propres articles !) et par rapport au bon sens (s'agissant de recherches financées sur fonds publics). Je n'ai donc pas envie de mettre un argument Pour ou Contre. « Progrès mais très insuffisant » serait une étiquette plus adaptée.
Parmi les sujets qui ne coûtent pas cher et sont donc souvent
appréciés des ministres en mal de présence dans les médias, on
trouve la défense de la langue française. Ici, elle a été oubliée
et le nom de domaine est mal orthographié :
republique-numerique.fr
au lieu du correct
république-numérique.fr
qui a, comme
d'habitude été
enregistré par un internaute profitant de cette
négligence. Cela a logiquement mené à des confusions, comme un
article du Parisien qui suggérait aux
internautes d'aller en
, bonne
orthographe mais mauvais site.http://république-numérique.fr/
Dans la série « souveraineté numérique », slogan souvent brandi dans les cercles gouvernementaux, on note que le site est hébergé par l'états-unien CloudFlare (qui a les serveurs DNS et le frontal HTTP, et signe le certificat). Les adresses IP utilisées sont donc celles de CloudFlare, attribuées par LACNIC à la filiale de CloudFlare au Costa Rica... Quant au courrier de confirmation de l'inscription, il est envoyé depuis la Georgie.
Je regrette aussi que certains articles n'aient pas été soigneusement relus. Par exemple, celui sur le domaine public affirme « [il existe] des pratiques abusives [qui] consistent à revendiquer des droits sur des choses qui appartiennent au domaine public. Par exemple : dans le domaine logiciel, certains codes sources libres sont réappropriés par des entreprises sans être repartagés avec la communauté. », confondant ainsi domaine public et logiciels libres (certaines licences libres permettent tout à fait de ne pas repartager). Cette confusion est classique, mais gênante dans un texte gouvernemental. Même chose pour l'affirmation incroyable comme quoi téléphone et SMS ne sont pas écoutés (dans l'article 22), affirmation qui sent très fort son protectionnisme franco-français (nos techniques à nous sont sûres, contrairement à l'Internet des méchants américains).
Pour finir, voici la liste des amendements sérieux proposés qui me paraissent mériter qu'on les soutienne (et n'ont donc aucune chance d'être repris par Lemaire et Valls) :
Ne vous émeuvez pas du message « Une erreur est survenue, veuillez réessayer », ce message est apparemment une erreur et n'empêche pas le vote d'être pris en compte.
Mon article a été repris sur Rue89. Parmi les nombreux articles publiés sur cette consultation, je vous recommande celui d'Antoine Amarilli.
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