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La Russie et la « déconnexion de l'Internet »

Première rédaction de cet article le 7 mars 2022


Le régulateur russe des télécommunications, Roskomnadzor, vient d'édicter de nouvelles règles pour certains acteurs de l'Internet en Russie. Cela a entrainé une floraison de titres sensationnalistes du genre « La Russie se déconnecte de l'Internet ». Qu'en est-il ?

Le tout se passant dans le contexte de l'agression (non provoquée) russe contre l'Ukraine, on n'est pas étonné des nombreuses exagérations et affirmations erronées. La guerre n'est jamais favorable aux discussions sérieuses et aux vérifications prudentes. Néanmoins, dans le cadre de ce blog, on va quand même essayer de garder la tête froide (oui, je sais bien que c'est impossible, mais je vais essayer quand même) et d'analyser ce qui se passe dans l'Internet en Russie. Entre l'ignorance technique et la propagande de guerre, on lit en effet pas mal de bêtises sur cette situation.

Donc, Roskomnadzor annonce des nouvelles règles (pas si nouvelles puisque beaucoup sont répétées par Roskomnadzor depuis des années). Le texte a été publié sur Twitter mais je ne lis pas le russe, donc je me fie à des traductions pas forcément exactes. Donc, prudence.

Ces règles sont apparemment uniquement pour les services officiels et leur imposent entre autres de :

  • Avoir les serveurs de nom des domaines en Russie et plus précisément sous le TLD .ru,
  • Ne pas avoir sur les sites Web de code qui charge des ressources hébergées à l'étranger.

Si c'est exact, c'est loin d'une « déconnexion russe de l'Internet ». Un utilisateur de l'Internet (ici, le gouvernement russe) peut parfaitement édicter des règles concernant ses propres ressources (noms de domaines et sites Web). L'Internet est bâti sur les principes de connectivité universelle et de liberté de décision locale. Une décision par un utilisateur donné n'est pas la même chose qu'une coupure de l'accès Internet.

Bien sûr, les choses sont plus compliquées que cela. Les nouvelles règles seront peut-être, en pratique, de facto applicables à tout le monde, pas seulement aux sites officiels (la Russie n'est pas un état de droit, et la loi n'est pas tout). Mais il est important de ne pas relayer des informations fausses : la Russie ne vient pas de se déconnecter.

Notons d'ailleurs qu'il y a parfois une certaine hypocrisie dans les discours entendus en dehors de la Russie. Aucun domaine dans le TLD du gouvernement étatsunien, .gov, n'utilise de serveurs de noms en dehors de ceux contrôlés par des organisations étatsuniennes. Et personne n'accuse le gouvernement des États-Unis de se déconnecter d'Internet. Il applique juste des principes de sécurité (contestables, mais pas absurdes), en évitant les dépendances vers des acteurs extérieurs au pays. Au passage, s'il faut trouver un mérite aux édits de Roskomnadzor, c'est de faire réfléchir sur les dépendances de nos services Internet. (Dépendance que le discours marketing sur le serverless tente de faire oublier, mais dont on se rappele à chaque panne d'un CDN.)

Et en parlant de propagande, notons que des défenseurs des GAFA ont déclaré que les déclarations de la CNIL sur le service de surveillance Google Analytics contribuaient à la « fragmentation de l'Internet ». Je ne compare évidemment pas la CNIL à Roskomnadzor mais je veux insister sur le fait qu'on n'est pas dans un monde de Bisounours : parmi les gens qui affirment des choses erronées, il y a des gens qui se trompent, mais aussi des lobbyistes et des propagandistes, qui ne cherchent pas la vérité.

Évidemment, mon analyse ne vaut que pour aujourd'hui. Demain, les choses vont certainement changer. Cela fait des années que le gouvernement russe va dans la direction d'un contrôle de plus en plus strict sur l'Internet (et, d'ailleurs, sur toute la société). On verra peut-être donc demain une vraie déconnexion, mais, pour l'instant, on en est très loin.

Cela fait d'ailleurs au moins dix ans qu'il est très à la mode de crier bien fort que « la Russie se déconnecte de l'Internet » ou que « la Russie a maintenant un Internet souverain ». C'est tout à fait faux (ce n'est même pas vrai pour la Chine, mais qui est un cas différent dont on reparlera une autre fois). La répétition de ce thème me fait parfois penser qu'il est mis en avant par des souverainistes qui admirent secrètement Poutine, et voudraient bien que la Russie montre l'exemple, permettant à d'autres pays de contrôler, censurer, etc.

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